Alors bien sûr, vous connaissez ces ce proverbe célèbre, trop célèbre ! Le doigt qui montre la lune et l'imbécile qui regarde le doigt. Il y a des choses comme ça qu'on aimerait voir disparaître, mais. Mais !
Alors ? Aujourd'hui le Roshi en fait va le faire disparaître, c’est notre paradoxe du jour.
En fait il prend le contre-pied de cette phrase : puisqu'il nous dit que cette phrase nous donne l'impression que le doigt et la lune sont séparés.
Voilà, je pense que c'est ça le le plus embêtant de cette phrase, c'est qu'elle induit une séparation et on a vu à travers cette avancée vers l'unité primordiale, ce qu’il va appeler « notre véritable Soi » que cette séparation provient toujours de notre vue , de notre compréhension limitées.
Pourtant, et attention, « on ne jette pas le doigt avec l’eau de l’océan », les moyens habiles existent. Et tant que nous ne sommes pas éveillés, nous avons nécessairement recours aux moyens habiles, et ce n'est qu'au moment de l'Eveil, de la compréhension profonde de notre véritable nature, qu’on appelle aussi Nature de Bouddha, c’est-à-dire reliée à toutes choses, et- mais je crois que là, c’est plus difficile !- toutes choses reliées à elle, que nous voyons que en fait moyens habiles et réalité sont un au départ ; nous les avons séparés, mais quand nous nous éveillons et que nous voyons que nous sommes là avec tout l'univers, alors moyens habiles et réalité sont un, comme ils l’ont toujours été.
Il y a une phrase de maître Dogen qui est toujours pour moi une lumière, comme si elle m'ouvrait au monde, comme si elle ouvrait des volets . C'est dans le chapitre qui s'appelle Bussho: littéralement Nature de Bouddha, mais ce qu’on pourrait traduire de façon très large par : « Tout ce qui est déjà là ». Ou bien « Rien ne manque ».
Cette phrase, c'est ceci: « On ne peut pas convoquer, (c'est-à-dire voir, faire apparaître) une chose sans convoquer la totalité.
Et si une chose est la totalité, c'est-à-dire sans que rien ne manque, alors une chose et la totalité sont vacuité. »* Vacuité au sens où chaque chose ne peut être vue « en soi », détachée de tout le reste, avec une identité propre et limitée à elle même.
Harada Roshi dit: « Mon intention est de vous faire comprendre que le zen est votre situation maintenant telle qu'elle est et qu'il ne sert à rien de chercher ailleurs. » Ce qui ne veut pas dire soyez passif, ne faites rien...on l’a entendu, on va le reprendre un peu plus loin, mais « Arrêtez de vous couper de vous même et du monde, de courir partout : regardez, juste là où vous êtes, tout est là.» Parce qu’une chose- situation-est la totalité des choses, et que la totalité des choses est une chose, ici votre zazen.
Je crois que je l’ai déjà dit, cette phrase « Tout est là » est pour moi l’évidence de zazen. Arrêter de courir. Arrêter d’essayer de s’échapper. Arrêter d’essayer d’attraper. Tout va bien. Juste là où je suis. Bien sûr, ça ne va pas bien, rien ne va bien ou presque dans ce monde !
Mais pour pouvoir faire quelque chose, je dois d’abord voir les choses telles qu’elles sont, pas comme je voudrais, pas comme j’en ai peur, mais « Juste cela, tout est là ».
Maître Dogen revient souvent sur l'idée de voir les choses telles qu'elles sont et c'est ce que nous dit Harada Roshi ici aussi puisqu'il dit : « il ne sert à rien de chercher ailleurs ». En fait, ce qui nous empêche de voir les choses telles qu'elles sont, c'est nous-mêmes. Nous faisons écran, on le voit bien parce qu'on va projeter sans cesse notre subjectivité sur ce qui se passe autour de nous, sur ce qu'on voit autour de nous : le jour où vous vous levez de mauvaise humeur, toutes les choses vont être désagréables, stressantes ; et le jour où vous êtes heureux - très heureux, mais dans ce bonheur mondain qui va malheureusement passer plus ou moins vite- alors vous voyez du soleil partout ! Lunettes grises, lunettes bleues ! Et si on enlève les lunettes ?! A ce moment-là, il ne reste que « Tel ».
Lorsque nous abandonnons cette subjectivité, lorsque nous nous mettons en unité avec nous-même, c'est-à-dire ce « nous-même » de tout ce qui existe, alors, à ce moment-là, toujours selon Harada Roshi : « Nous nous sentons bien et en paix ». Il faut bien entendre ces mots dans le sens du Dharma.
Pas un « bien et en paix » mondain qui va passer quand une autre chose va arriver dans notre vie, mais je crois qu’en fait, si nous pratiquons l’assise, nous savons exactement de quoi Harada Roshi nous parle. Et c’est pour cela que nous continuons.
Pour donner une idée de ce « bien », ce serait la base sur laquelle nous existons, comme le grand océan tranquille. Et puis après il y a les vagues, les vagues quotidiennes, qui amènent dukkha, les vagues de tous les problèmes qui surviennent.
Mais lorsque nous avons, je dirais, presque seulement aperçu, ou frôlé, cette base de de paix et de tranquillité, alors à ce moment-là, c'est vraiment le le zen, càd le véritable Soi.
Bien sûr, ce que je viens de dire est faux, ou tout au moins un « moyen habile » puisque « base » ou « océan » et « vagues » et « vous » ne sont pas séparés ! Mais ...on a besoin aussi de ces moyens habiles ! Et on lu la dernière fois : « Je voudrais que vous croyiez cela- (l’unité océan/vague/vous)) ; alors quand vous le croirez vraiment, abandonnez cette croyance ! Croyez jusqu’à ce que croire ne soit plus nécessaire...»
M° Dogen dit aussi : « On peut parler en termes de « ce qu’il y a », d’êtres sensibles, de vies en nombre, de multiples espèces, mais dire « tout ce qu’il y a sans exception » est la Nature de Bouddha, c’est-à-dire notre Véritable Soi, c’est convoquer la totalité de ce qu’il y a , et le « ce qu’il y a » sous toutes ses formes »*
Donc, nous commençons zazen, si je peux dire, en courant après zazen, comment s’asseoir, à quoi penser ou ne pas penser etc, il y a séparation entre l’assise et nous, tout comme il y a la séparation entre nous et notre vie même, due à cet « écran » de nous-même, puis nous comprenons que le doigt qui montre la lune et la lune sont un, que nous sommes un aussi avec le doigt qui montre la lune et la lune aussi. On se débarrasse de la distance lorsqu'on réalise que, en voyant ou en faisant apparaître n'importe quelle chose, c'est l'univers entier qui apparaît sans séparation.
Alors, nous réalisons notre Véritable Soi, ou plutôt il se réalise à travers nous, et c’est de là, non plus de nos opinions, de notre compréhension limitée, de notre vision limitée de nous et du monde, mais à partir de cette totalité que nous allons vivre.
Pour terminer, je voudrais reprendre une phrase que j'ai déjà citée : « J'aimerais que vous vous jetiez dans zazen, que vous oubliiez vraiment vos propres pensées. Il n'y a rien d'autre que cela. Devenir intime avec votre vraie soi, être intime signifie se débarrasser de la distance. »
Et à ce moment-là : « Vous pouvez vous concentrer à 100 % sur les besoins des autres, votre travail, votre famille, etc.. » il n’est pas question de s'enfermer dans l’indifférence, dans ce « bien et en paix », mais au contraire, enfin libéré de nous même, nous pouvons agir de façon juste.
Et cela, agir avec nous même et avec les autres au-delà de notre vision limitée, conclut-il, c'est la pratique du bodhisattva.
* trad. Vacher « Bussho, La nature, donc Bouddha ». Ed Encre Marine
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