Notre critique intérieur
- Joshin Sensei
- il y a 1 jour
- 6 min de lecture
Nous avons beaucoup parlé de faire ce qui est juste, de cultiver la pratique du lâcher-prise, d’abandonner le point de vue de notre ego.. la semaine dernière, nous sommes devenu.es des dragons ..Mais qu’est-ce cette voix qui nous pousse parfois vers l’obscurité, qu’est-ce qui nous arrête dans notre chemin ? Qu’en est-il de notre critique intérieur ?
Une enseignante, Chozen Bays Sensei, dit : Si le mal est extérieur, alors nous aurons toujours à tuer quelqu'un ou quelque chose en dehors de nous-même. Si le mal est intérieur et s’il a son origine dans la voix de notre esprit, ce critique intérieur qui est impartial puisqu’il critique toujours, quoiqu’on fasse, alors que faire? «
Question d’une pratiquante :
Cette question du bien et du mal, ma mère, qui est chrétienne, y a réfléchi. Quelques semaines avant la crise cardiaque qui allait provoquer sa mort à 84 ans, elle me dit: « J'en suis venue à la conclusion que le mal n'existe pas en tant qu'entité séparée. Je crois que le mal est crée lorsque l'être humain se détourne du bien. »
Réponse de Chozen Bays Sensei.
Il y a là une question intéressante. Est-ce que le mal est à l'extérieur ou à l'intérieur de nous? Les écritures chrétiennes parlent du diable, et les bouddhistes de Mara le Mauvais, comme si c'étaient toutes deux des entités extérieures ou indépendantes.
Quand le Bouddha méditait la nuit en étant allongé, Mara l'attaquait pour paresse spirituelle; quand le Bouddha pratiquait avec diligence, Mara se moquait de lui pour prendre la vie spirituelle trop au sérieux.
J'ai remarqué que Mara parle au Bouddha avec familiarité, comme la voix de notre critique intérieur. Le critique intérieur, et son compagnon, le juge extérieur, sont impartiaux – quoiqu'il y ait dans le champ de notre attention, ils le critiquent.
Que ce soit méditation tranquille ou sommeil en retard, concentration aiguë ou distraction, efforts pour le koan Mu ou pratique du sourire intérieur, tout est sujet à attaque.
( bien sûr la première chose est de nous entendre : nous entendre nous critiquer- moi j’imagine ce CI comme un petit diablotin perché sur mon épaule, et qui commente sans cesse tout ce que je fais… ! Alors tu ne te prépares pas pour zazen ? Tu vas te promener au lieu de travailler..etc etc!)
En termes bouddhistes, ce critique intérieur est le doute, une des barrières fondamentales à l'Eveil. C'est une énergie qui vous critique, vous, votre enseignant, votre groupe de méditation, ou toute religion organisée.
Quelques personnes prennent cette voix pour une autre, celle qui est essentielle à la pratique, dans l’Ecole Rinzaï, : la voix du Grand Doute. ( à ne pas confondre : le Grand Doute porte sur ce que nous appelons « moi » et sur toutes nos idées bien arrêtées- il nous fait « sortir de notre petit compartiment personnel » comme disait Harada Roshi.)
Mais le critique intérieur s’attaque à la pratique, à nos décisions de pratiquer, à nos efforts, pas à notre vision de nous et du monde... S’il arrive à faire son trou dans votre pratique, il peut la détruire. Le Grand Doute est positif, il nous pose la question « Que sais-je ? » et nous fait douter de nos certitudes ; : c'est du carburant pour la pratique. Il dit: « Je dois savoir ce qu'est ce cycle fou de naissances et de morts, de douleur et de joie. Je ne prendrai pas de repos avant que mon doute ait disparu. »
Si le mal est extérieur, alors nous aurons toujours à tuer quelqu'un ou quelque chose en dehors de nous-même. Si le mal est intérieur et qu’il a son origine dans cette voix de notre esprit, alors que faire?
Il n'y a pas dans le canon pâli- les premiers textes bouddhistes- de batailles sanglantes avec les forces du mal. Dès que Mara apparait, le Bouddha dit: « Mara, est-ce toi? », alors le Mauvais disparaît, triste et déçu, disant: « Le Bienheureux me (re)connaît ».
Si nous voulons nous aider nous même à combattre le mal – c’est-à-dire nos actes etc qui apportent de la souffrance , ce moment où nous entrons dans l’obscurité- la première chose à faire est d'en reconnaître les premiers frémissements, les pensées fugaces, « non justes » dans notre esprit et les laisser s'étioler, parce que, lorsque nous y sommes inattentifs, elles vont se développer. ( Les laisser s’étioler : ne pas les arracher de force, on a dit : Soyez doux dans votre pratique : il « suffit » de ne pas les nourrir, les attraper, en rajouter etc)
De l’autre côté, nous devons aussi reconnaître tout de suite les pensées « justes », et les aider à grandir.
Arrivé là, imaginons qu’on nous dise :« Je suis d'accord pour travailler sur les origines du mal en moi, on peut en discuter, mais que devient tout le mal qui se produit dans le monde – les atrocités de la guerre, les famines, et les crimes inexpiables dont nous prenons connaissance dans les médias? »
Chozen Sensei répond : Nous devons d'abord être réalistes. La seule personne que nous pouvons espérer changer de façon fondamentale est nous-même. Et nous savons déjà que c'est rudement difficile!
Si ou quand nous décidons de faire un travail pratique pour aider à mettre fin à la souffrance humaine, nous devons l'entreprendre sans un esprit d'opposition qui semble amener une escalade et devenir la chose même qu'on essayait d'empêcher.
( Ce point est très important : il ne s’agit pas d’attendre d’être parfait pour commencer à faire quelque chose, - puisqu’on a vu que nous devons « faire », retourner sur la place du marché- mais de ne pas lutter contre le mal avec le mal- « répondre » et non pas « réagir »..)
Il y a des occasions infinies de travailler pour le bien. Nous commençons par vivre selon les préceptes. Puis nous pouvons devenir un officier de police plein de compassion, ou travailler avec la communication non-violente, supporter patiemment nos problèmes, ou pratiquer metta- la gentillesse aimante – et tonglen ( pratique tibétaine : absorber ce qui est négatif pour le restituer sous forme positive, cela permet de dépasser nos peurs et de développer notre capacité d'acceptation des événements extérieurs.)
Nous pouvons faire tout cela pour les personnes qui se trouvent des deux côtés d'un conflit.
Nous pouvons déjà juste rester aimable et bienveillant.e avec une personne qui nous irrite. J'ai remarqué qu'il est plus facile d'être empli de bons sentiments par rapport à une guerre lointaine qu'appeler une personne que nous avons blessée, et nous excuser.
C’est la première partie de ce « travail » en nous même, la partie volontaire, décidée, nous travaillons avec notre « moi ».
L’autre partie de notre connaissance est le contraire de cette énergie nécessaire qui se manifeste comme "formes". C'est la Vacuité – « le Grand Potentiel »- de laquelle toute l'énergie provient: la créativité et la destruction, l'allié et l'ennemi.
C'est à l'intérieur de nous que forme et vacuité se rencontrent. Si chaque action entraîne une réaction, à la fois contraire et identique ( dans sa forme : on me frappe-je frappe-) comment pouvons-nous travailler pour le bien dans un monde de la forme, et ne pas amener le mal ?
Ce n'est possible que lorsque nous traversons ces contraires, que nous appelons bien et mal, quand sans cesse nous nous vidons nous-mêmes.
( de notre colère, de notre rancune, de nos attentes surtout)
C'est cela le challenge de la Voie du Milieu, il a 3 aspects :
1.être dans la compassion sans devenir étouffé et déprimé par la souffrance du monde;
2.être déterminé sans devenir agressif ou anxieux
3. et vivre avec la clarté de l'esprit sans devenir indifférent ou cruel.
Nous devons commencer au plus intime, avec le travail de l'intérieur. Puis nous avançons vers l'extérieur, travaillant pour la paix dans un milieu de non-opposition. Nous ne restons pas enfermé en nous-même pour parler de « spiritualité » nous avançons vers l’extérieur, avec compassion et sagesse.
Nous revenons toujours à la vacuité, qui rend tout possible.
Cela ne fait pas les grands titres des journaux, vous n'obtiendrez pas de récompenses importantes, et pourtant, dans mon expérience, c'est cela le moyen le plus profond, et en fin de compte le plus efficace pour travailler au bien et à la paix dans le monde.
Jan Chozen Bays. Buddhadharma, trad. Joshin Sensei
Joshin Sensei: On commence par soi même: l’attention à ce qui se présente dans notre esprit d’abord- pour ne pas laisser se développer ce critique intérieur, qui est la voix du découragement, ou de l’inertie...
C’est le premier pas : « Je te reconnais, Mara !»
Et puis nous lâchons un petit peu: de nos certitudes, de nos attentes, lorsque nous nous cognons contre le monde : si nous avançons « plein » de nous -même, nous risquons de renvoyer ce que Chozen Sensei appelle « une force contraire et pourtant semblable ». Nous ajoutons alors de la colère à la colère, de la violence à la violence. Nous devons, dit-elle, nous « vider » nous -même, « vide » au sens positif faire de l’espace pour mieux voir, mieux entendre, mieux répondre.
Cela nous donne l’espace pour mieux écouter, et voir et donner une réponse qui ne soit pas teintée par notre critique intérieur.
Cela nous donne même l’espace pour sourire à Mara...rien ne le fait partir plus vite !

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