S’asseoir… et puis ?
Hier, j’ai cité cette phrase « Si vous ne pouvez pas aller à l’extérieur, allez à l’intérieur »puis j’ai rappelé la phrase de ce moine chinois : « Apprenez à tourner votre lumière vers l’intérieur ». J’aimerais bien qu’on voie aujourd’hui un petit peu, eh bien, qu’est-ce qu’on voit quand on tourne cette lumière vers l’intérieur ?
En fait, ce qu’on voit souvent, quand on s’assoit pour l’assise, pour la méditation, au début, ce qu’on voit, c’est tout un bazar, c’est tout un fatras de pensées, d’agitation, tout notre cerveau qui va dans tous les sens. C’est souvent une surprise, parce qu’on pense que notre cerveau est bien organisé, et qu’on pense à une chose, à une autre, etc. et on s’aperçoit qu’en fait, c’est une sorte de feu d’artifices qui va dans tous les sens.
Au point que souvent, les personnes nous disent : « Non mais moi, je ne peux pas faire de la méditation, parce qu’en fait, ça me fait penser !». Eh bien non ! En fait, ça vous fait seulement prendre conscience de ce qui passe à l’intérieur de vous-même à peu près tout le temps.
Et cette prise de conscience, c’est le premier pas de la méditation. Nos pensées défilent sans cesse. On est entre hier, aujourd’hui, quand ce confinement sera fini, tout ce qu’on a fait aux dernières vacances. On est ici, on est là, etc. Et non seulement, ces pensées défilent sans cesse, mais elles s’accompagnent d’émotions : on est content quand on pense à ce qu’on va faire ce soir, et puis on est triste quand on se rappelle une mauvaise nouvelle, on est irrité quand on se rappelle un mauvais moment, etc. Notre esprit est encombré comme ceci : une pensée en apporte une autre, en apporte une autre, en apporte une autre... Vous voyez : c’est comme une chaîne qu’on tirerait, comme ça, anneau après anneau. C’est normal.
Mais vraiment, tout va bien. C’est juste notre cerveau qui fait son travail de cerveau. Alors, je ne suis pas sûre du travail du cerveau exactement, mais il y a quelque chose avec des impulsions électriques, des synapses, des choses qui se promènent comme ça – son travail de cerveau. De la même façon, pendant la méditation, notre estomac digère, notre vessie se remplit, notre sang circule à travers nos veines, et tout cela, on n’essaie pas de l’arrêter. Mais il y a une idée récurrente, qu’on traverse tous je crois, c’est qu’il faut arrêter nos pensées. Alors, ça devient… ça devient un petit peu amusant. Parce qu’on a notre cerveau qui est embarqué dans toutes ces pensées et puis on a, je dirais, l’autre moitié de notre cerveau qui se dit « Je ne dois pas penser parce que c’est la méditation, je ne dois pas penser ! ». Mais, évidemment, la partie qui dit « Je ne dois pas penser », c’est aussi notre cerveau. Donc, ça ne fait que rajouter une épaisseur, ou une sorte de nœud, en fait, entre la partie qui pense et la partie qui se dit « Je ne dois pas penser ». Et, dans le meilleur des cas, il y a – allez ! – une troisième moitié qui regarde tout ça, et qui se dit : « ça ne va pas du tout ! » Donc, on est arrivé, en fait, à faire beaucoup de nœuds !
Hier, je citais ces mots, enfin ça m’est venu parce qu’il me semble que la méditation, c’est comme ça, c’est juste « tranquille et détendu ». Voilà. Ca paraît tout simple, mais… Est-ce que ça veut dire alors qu’on va faire comme si on était assis dans notre salle à manger, comme si on était assis dans le fauteuil du dentiste ? Mais non, il y a une différence, justement, dans la méditation. C’est qu’on ne va pas attraper ses pensées.
Qu’est-ce que c’est « attraper ses pensées » ? C’est par exemple… Vous pensez à votre ami Philippe, et vous vous dites : « Tiens, je vais faire un Skype pour lui dire bonjour ». Ah oui, mais je suis embêtée ; Skype, ça ne marche pas bien parce que mon fournisseur, ce n’est pas très bien. Ah, j’avais un papier, je m’étais dit que j’allais changer de fournisseur. Il faut que je regarde, que je compare les prix. Etc., etc. Vous voyez, il y a quelque chose qui se met en mouvement, et ça, c’est ce que j’appellerais « attraper les pensées ». Alors que ça pourrait être simplement : « Ah, j’ai envie de voir mon ami Philippe ». Voilà. Et puis quelque chose qui disparaît, comme ça. En ce moment, c’est encore plus difficile. Parce qu’en ce moment, bien sûr, nos pensées sont confinées un petit peu aussi, tout comme nous, tout comme nos corps. Et c’est pour cela que cette assise, ce moment où on va un petit peu arrêter de courir, de courir après nous-mêmes, comme ça, c’est un moment spécialement important.
Et lorsque nous pouvons nous rendre compte, prendre conscience, de ce moment où nous sommes attachés à nos pensées, pendant l’assise, alors l’essentiel, c’est de revenir à nous-même. Ca veut dire, par exemple, moi je suis sur une chaise, je vais sentir la façon dont mes pieds sont posés par terre. Les personnes qui sont assises sur un coussin vont sentir le poids de leur corps sur le sol. Et puis on va laisser le dos s’étirer. Très tranquille, très détendu. Il ne s’agit pas de se transformer en statue en bois comme la statue qui est derrière nous. Chaque corps a sa spécificité, chaque corps a ses possibilités et ses limites. Donc, simplement, on va détendre le corps en allongeant notre dos. Et ça, c’est formidable, parce que ça nous permet de respirer mieux. Voilà, et on va revenir comme ça, puis on va repartir – parce qu’on va avoir une pensée tout à fait tentante qui va passer devant nous, sous notre nez. Et puis on va revenir comme ceci.
Pourtant c’est difficile, parce qu’il y a deux paradoxes en fait dans la méditation. Le premier, c’est que plus on va faire d’efforts pour « bien » méditer, et plus on va poser d’obstacles. Parce que cet effort-même va mettre quelque chose en route, qui va être un obstacle à ce « détendu et tranquille ».
Et le deuxième paradoxe, c’est qu’il n’y a rien à faire, en fait, c’est très simple et c’est très difficile. Rien à faire. On s’assoit, on garde les yeux mi-clos. On se pose bien au sol, on allonge le dos, et puis, et puis, et puis. Et pourquoi je ne peux pas expliquer comment faire après ? Moi, je ne vais pas l’expliquer, parce que justement c’est le moment où les mots s’arrêtent.
Et quelquefois, il y a des intuitions comme ça, fulgurantes, et le plus souvent, ce sont celles des poètes qui vont mettre des mots, là, sur ce paradoxe tellement difficile et en même temps très, très simple.
Je pense aux mots de quelqu’un que j’aime beaucoup, qui s’appelle Ryokan – j’en ai parlé déjà. C’était un moine zen, c’était un poète, c’était un ermite et c’était quelqu’un qui parlait de tout son cœur. Il a écrit ce poème qui, pour moi… Je n’aime pas dire « poème », d’ailleurs Ryokan disait « quand vous comprendrez que mes poèmes ne sont pas des poèmes, alors vous pourrez lire mes poèmes ». Il a écrit ce texte, il a écrit ces phrases. C’est ceci : « Moi aussi, comme le petit ruisseau se frayant un chemin à travers les pierres et la mousse, petit à petit, je deviens clair et transparent. » Juste cela. Le petit ruisseau.
Je vous souhaite une bonne journée avec le petit ruisseau. Merci.
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