L'enseignement du Bouddha consiste à savoir comment digérer l'expérience de la vérité. Le but n'est pas d'atteindre le sommet, parce que la vérité est vide. on ne peut ni rester immobile, ni s'accrocher à la vérité à titre personnel. Le problème est que, si le maître spirituel s'accroche à la vérité, dont il a l'expérience et dit : « cette voie est la meilleure », cela devient sa vérité. Or, la vérité est universelle, cosmique. Quel qu'elle soit, nul ne peut la détenir.
Si vous la trouvez, laissez la filer. C'est le vide. C'est pourquoi on ne peut pas séjourner au sommet. Jamais. La vérité est une. Aussi en faire l'expérience n'est pas important. L'important est de savoir comment digérer l'expérience de la vérité.
La vérité est ce qui soutient notre vie et nous donne la sécurité religieuse. C'est ça, la vérité. Si l'on est ainsi, qu'est-ce alors que la vérité vérité ? C'est vous. Du commencement jusqu'à la fin, le bouddhisme, zen enseigne qu’il ne doit y avoir aucun résidu de vérité dans notre vie. C'est très difficile.
Il y a une histoire zen qui illustre bien cela. Un moine alla voir un maître zen et lui dit : « je suis venu sans rien avec moi. », le maître répondit : « alors, posez-le. » Le moine reprit : « si je n'ai rien avec moi, comment puis-je le poser ? » Est-ce que vous comprenez ? Dire « je suis venu sans rien avec moi », c'est déjà avoir quelque chose. C'est pourquoi le maître a répondu : « posez-le. » Mais le moine n'a pas compris, et il s'est mis en colère. Pour finir, le maître lui a dit : « s'il vous plaît, reprenez-le et rentrez chez vous. ».
C’est merveilleux, mais c'est très délicat ; c'est une vraie maladie, mais elle passe inaperçue ; c'est une maladie très subtile. Nous avons tous cette maladie en permanence, c'est ce qu'on appelle avoir des résidus. Comment se débarrasser complètement de ces résidus ?
D'abord, en faisant zazen. C'est le meilleur moyen, parce que zazen ne laisse aucun résidu ; zazen, le bien, le mal, nous-mêmes, nous sommes juste assis. C'est le meilleur moyen. Nous n'y croyons pas, parce que notre obstination, notre moi veulent toujours saisir quelque chose.
Si nous avons des résidus en nous, nous nous sentons bien, parce que ces résidus font du bruit. Nous passons notre temps à agiter le petit peu de résidus qui stagnent au fond de la bouteille pour trouver quel bénéfice nous pourrions tirer de zazen, et nous voulons pratiquer davantage. En fin de compte, quand la bouteille est pleine de résidus, il n'y a plus de bruit. Alors nous savons ce que sont les résidus et nous pouvons comprendre pourquoi zazen est la meilleure des voies.
Mais nous n'y croyons toujours pas, et c'est pourquoi nous avons besoin d'un maître qui a fait l'expérience de zazen.
Je suis moine zen de l’Ecole soto, mais je ne parle pas du zen de l’Ecole soto, je parle du bouddhisme, parce que le bouddhisme, c'est l'étude de la vie humaine à proprement parler. Je parle de la vie humaine, de la nature originelle de la vie humaine, de ce qui restent quand on se débarrasse des oripeaux culturels.
Qu'est-ce qui reste ? Un être humain. C'est de cela que je parle.
Quand vous avez complètement digéré la vérité, il ne reste aucun résidu. Alors, montrez votre vie. Soyez là, tout simplement.
Katagiri Roshi Retour au silence
Montrez votre vie !
D’abord le mot utilisé : digéré : « L'enseignement du Bouddha consiste à savoir comment digérer l'expérience de la vérité. »
Katagiri Roshi nous avait parlé de cette danseuse, de la beauté de ses gestes : « Il n'y a aucune différence entre elle et la danse ; elles sont unité. » Je crois que c’est cela qu’il veut dire par « digéré », ou par l’expression qu’il utilise ensuite « « il n’y a pas de résidus »
Je pensais à un pianiste : au départ il déchiffre, note par note, puis il garde seulement la structure, ou les mouvements, en tête, et enfin, si c’est un grand pianiste, il joue directement, il ne pense plus, il n’y a plus rien entre lui et la musique. Elle est « digérée ». C’est ce que nous devons faire avec la vérité, plus rien entre elle et nous, elle est tellement digérée qu’elle est en nous à chaque instant et nous ne faisons plus qu’un avec elle.
Alors, on comprend l’histoire du disciple et du Maitre : le disciple, bon, peut-être qu'il avait lu pas mal de choses et sans doute qu'il avait envie de montrer tout ce qu'il savait. Alors il arrive et dit : « je suis venu avec rien » Voilà ! L'air de dire waouh regardez-moi ! J'ai tout lâché... bien sûr le Maître répond « eh bien lâchez-le »! Ce rien, lâchez-le... Ca veut dire votre idée toute faite là du Ch’an, votre comment dire, votre prétention un petit peu, je crois qu'on pourrait dire, eh bien voila maintenant il reste encore à lâcher ça !
Katagiri Roshi montre que ce disciple en fait n'a pas digéré ce qu’il a compris: « L'enseignement du Bouddha consiste à savoir comment digérer l'expérience de la vérité. Le but n'est pas d'atteindre le sommet parce que la vérité est vide. »
Ce vide, quand il n’est pas digéré, ça donne quelque chose comme « je suis venu avec rien » mais Katagiri Roshi dit bien : « si vous la trouvez, donc cette vérité, laissez-la partir. Laissez-la filer... »
Vous ne pouvez pas rester dans cette vérité parce que si vous restez dedans, vous commencez à l'attraper, à la cramponner, et au moment où elle est cramponnée, eh bien ce n'est plus la vérité ! C’est un « résidu » !
C’est ça ce qui est difficile à comprendre : ce n’est pas le contenu qui change mais notre attitude en face de ce contenu.
La vérité est vide, en un clin d’oeil, je le vis, je ressens, je le comprends au sens le plus large du terme, mais...est-ce que je peux ouvrir les mains, ouvrir la main des pensées comme dit Uchiyama Roshi ? Pas facile, parce que je suis contente, et je me regarde regardant la vérité, je trouve que c’est formidable...et je la garde précieusement...la vérité est toujours vide, mais moi je suis pleine à ce moment-là d’un « résidu », je me suis alourdie, aveuglée, j’ai mis la vérité dans mon sac à dos, et il est devenu encore plus pesant !
Je trouve que c'est vraiment intéressant parce que c'est un des grands pièges d’une voie spirituelle : au moment où on a compris quelque chose, on a envie de le cramponner et au moment où on cramponne, c'est comme si on n’avait rien compris.
C’est comme zazen : au moment où on se dit ah voilà ça y est là, je suis en train de faire zazen, on essaye d'attraper zazen, de le cramponner et il n’y a plus de zazen, juste moi avec moi.
Et Katagiri Roshi nous le répète : du début à la fin, il ne doit y avoir aucun résidu de vérité dans notre vie.
C’est une parole très forte car si je comprends qu’il ne doit plus y avoir aucun résidu, mettons de colère, d’avidité...il me semble bien que si je parle de la vérité- et on pourrait dire de l’Eveil- c’est différent !
Pourtant M° Dogen dans les « Instructions pour zazen » dit : « Mettant tout de côté, ne pensez ni au bien ni au mal, ni au juste ni au faux. Alors, votre esprit calmé, abandonnez même l'idée de devenir Bouddha. Ceci n'est pas seulement vrai pour zazen mais aussi pour toutes vos actions quotidiennes. »
Garder l’idée de - parce que là c’est devenu une idée .. l’idée du bien, du mal, du juste ou du faux, l’idée de ce que c’est un Bouddha...c’est le contraire d’un esprit ouvert, pouvant donner, comme on l’a vu « Une réponse adéquate basée sur la situation de cet instant, avec sagesse et compassion ».
Ça veut dire que vous avez tellement mâché et digéré le bien le mal, le juste le faux etc. que vous vous n'avez même plus besoin de le promener avec vous ; la réponse adéquate, c'est la réponse qui va venir de tout ce que vous avez digéré de sagesse et de compassion et qui va arriver au bon moment alors que si vous le gardez en terme d’idée, vous allez comparer la situation avec une autre situation, votre réponse avec une autre réponse possible etc. et en général je crois on a tendance à donner la réponse connue ou la réponse habituelle ou la réponse qui a été marqué « juste » dans notre dans notre tête ; tout ça, ce sont ce qu'il appelle des « résidus ».
Il faut avoir un coeur-esprit qui ne soit pas encombré – par ces idées- pour voir la situation et trouver la réponse juste, adéquate.
Ce mot « résidu » est vraiment marquant ! Il nous dit que c'est une vraie maladie, avoir des résidus... ça veut dire qu'on a attrapé plein, plein de choses et puis qu'on essaye de les garder en nous-mêmes, de les balader partout avec nous ; et ce sont des résidus en fait parce qu’on ne peut pas s’en servir dans notre vie.
Or, nous nous sentons bien parce que ces résidus, dit-il, font du bruit ! On a plein d’idées ! On passe du temps à les agiter, oui, on passe du temps à agiter nos opinions, nos pensées, nos souvenirs.... Vous vous souvenez que Joko Beck Roshi disait : « Oubliez votre biographie »… !
Tout ce qu'on a pu attraper, ça fait du bruit, on est content mais… ce sont des jouets, dans le livre Katagiri dit : « Depuis notre naissance, nous avons eu des jouets pour satisfaire nos désirs ; et nous finissons par devenir des jouets ; et si vous devenez un jouet, vous ne connaîtrez plus de repos, vous voudrez juste obtenir de plus en plus de choses... »
Zazen est là pour nous aider justement à laisser partir ces résidus, car zazen ne laisse aucun résidu, ni le bien, ni le mal, ni nous-même. Nous sommes juste assis.
C'est le contraire de ce qu'on a envie de faire, c'est le contraire d'attraper quelque chose et puis de le garder, d'en faire quelque chose de précieux. Ce jeune moine, je l'imagine en train de porter son « rien » comme ça, un petit peu comme s'il avait un joyau extraordinaire, précieux, et il apporte son « rien » au Maître...
Et un petit peu plus loin, donc la seconde partie que j'ai lue, Katagiri Roshi dit : « Je parle de la vie humaine, de la nature originelle, ce qui reste quand on enlève les oripeaux... » ! alors on était dans les résidus maintenant on est dans les oripeaux mais c'est pareil !
C'est Lin Tsi qui disait à ses moines : « Soyez sans affaires ».
« Quand quelqu'un vient pour la recherche, je sors le regarder. Il ne me reconnaît pas. Je mets alors toutes sortes de vêtements qui font naître chez lui des interprétations ; et tout à coup il se laisse prendre à mes paroles et à mes phrases.
Ces tondus aveugles qui n'ont pas l'œil ( de la Vérité) s'emparent des vêtements que j'ai mis pour me voir bleu, jaune, rouge, blanc. Et si je les enlève pour aborder des domaines purs, voilà les apprentis qui aspirent aussitôt à la pureté ; et si j'enlève encore ce vêtement de pureté, les voilà tout perdus et frappés de stupeur; ils se mettent à courir comme fous, en disant que je suis nu ! Je leur dis alors : "Le reconnaissez-vous, enfin, l'homme en moi qui met les vêtements ?" Et soudain ils tournent la tête, et voilà qu'ils me connaissent. »
Qu'est-ce qui reste et à ce moment-là, qu'est-ce qui reste quand on s'est débarrassé de nos résidus ? Qu'est-ce qu'il reste quand on a enlevé tous ces oripeaux, ces masques, ces déguisement etc. Eh bien ce qui reste c'est un être humain.
C’est de cela que nous parlons, cet être humain vous savez, c'était Harada Roshi qui nous disait « il y a une personne importante à rencontrer dans votre vie c'est vous-même » Nous-même, libéré de nos résidus, ayant quitté nos oripeaux : « Alors, montrez votre vie ; soyez là tout simplement » , nous-même en tant qu’ être humain.
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