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  • Photo du rédacteurJoshin Sensei

M° Moriyama : un accueil inconditionnel





  « Lorsqu'on pratique l'Eveil complet et parfait, le plus difficile est de trouver un guide et un enseignant. Cet enseignant n'a pas la forme d'un homme ou d'une femme, mais toute personne avec une forte résolution sera cet enseignant. »


Donc aujourd'hui c'est l'anniversaire de la mort de mon Maître Moriyama Daigyo Roshi. 


M° Dogen, Raihai Tokuzui – « Se prosterner et atteindre la moelle »-dans le Shobogenzo écrit:

  « Quand vous rencontrez un enseignant qui parle de l'Eveil suprême, ne considérez pas sa situation sociale ni les traits de son visage ; ne méprisez pas ses manques, ne pensez pas à son attitude. Mais plutôt, rendez-lui hommage en vous prosternant devant lui, trois fois par jour.

 Si vous vous conduisez de cette façon, la Voie s'ouvrira certainement devant vous... »





J'ai parlé de lui plusieurs fois, et en fait c’est toujours un peu difficile pour moi de parler de la personne qu’il était, soit parce que je tombe dans des clichés, le M° ceci, le M° cela, aussi parce que je n’aime pas beaucoup les anecdotes, des petits bouts de vie, parce que je pense j’ai vécu dans son temple « complètement », juste dans le présent.

 Je n'ai aucune photo, aucun enregistrement ; les seules notes que j'ai sont des petits papiers griffonnés qui disent : ne pas faire bouillir le miso, ou bien rajouter du shoyou en fin de cuisson, ou quelque chose comme ça, puisque que j'étais tenzo, responsable de cuisine. Parce qu'il y avait une sorte de présence totale qui faisait que je n'avais pas la distance, et c’est tant mieux. C'était une vie « immédiate », je dirais une vie dans la présence de l'Eveil, voilà comment je le vois, pas de mon Eveil ! Mais je veux dire dans la présence de l'Eveil, à travers le Roshi, le temple, l’assise, l’horaire, le lieu, les dons etc. 

En cherchant comment en parler  m’est revenu un haiku :

« Ce printemps dans une cabane,

absolument rien, absolument tout. »


Voilà « absolument rien », comme quand M° Dogen ( excusez la comparaison ! ) rentre de Chine, les mains vides : « Les yeux horizontaux et le nez vertical » ! et absolument tout : «  Chaque instant est un instant de plénitude ».


Alors j’ai choisi aujourd’hui de le présenter, à travers le regard « naïf » d’un américain arrivé un peu par hasard au temple de Zuigakuin, il y a une dizaine, d’années, assez peu de temps avant la mort du Roshi.

Je trouve que ses mots, son regard sur le temple et sur Moriyama Roshi sont tout neufs, et qu’ils disent bien l’atmosphère tranquille et profonde du lieu, le regard bienveillant du Maître, le quotidien tout rond, tout plein : «  Dans chaque geste, jour et nuit, notre coeur résonne à l'appel du soutra... »

Dans la vie du temple, tous les mots de M°Dogen deviennent vivants, et nous accompagnent tout au long de notre vie. 





Donc le texte de cet américain, qui se dit « sympathisant du zen japonais », et « tombe » sur Zuigakuin, et l’accueil inconditionnel de Maître Moriyama.


«  Sans fioritures…


Lorsque j'ai commencé à réfléchir à mon projet de voyage au Japon, j’ai trouvé sur le site Japan Guide : « Certains temples au Japon, en particulier dans les destinations de pèlerinage populaires, offrent un hébergement dans les temples aux pèlerins et aux touristes en visite. Ces hébergements offrent une excellente occasion de goûter au style de vie simple et traditionnel des moines bouddhistes ».

Toutefois, les premiers soupçons surgissent lorsque je lis les mots « pèlerins et touristes » ; ce que je cherchais, c'était une simple expérience de bol de riz sans prétention comme celui que les nonnes et les moines zen choisiraient dans le cadre de leur vie monastique. Kyoto était donc définitivement sorti de la liste.



J'avais presque abandonné la recherche lorsque quelques jours plus tard, mon amie japonaise, Miki, m'a recommandé un temple zen Soto appelé Zuigakuin à 700 m d’altitude dans la préfecture de Yamanashi, l'une des deux préfectures proches du mont Fuji.

Le temple conseille aux invités de voyager avec une torche car il fonctionne sans électricité et les besoins quotidiens en eau sont couverts par un ruisseau à proximité. Et le papier toilette, me demandai-je ? On m’avait toujours déconseillé de quitter la maison sans papier toilette. Au cours de mes voyages dans certains endroits reculés d’Inde ou de Thaïlande, le papier toilette avait acquis un statut supplémentaire en encombrant mes bagages à côté de mon passeport.


Le mari de Miki était assez optimiste pour supposer que les toilettes TOTO avec leurs lavabos à double action et leurs pompes de lavage, devaient avoir atteint tous les endroits éloignés du Japon. Le temple fournissait un futon et des draps de lit et me rappelait d'apporter ma propre serviette de toilette.




Après un trajet en tortillard de deux heures depuis Tokyo, je suis arrivé à Hatsukari. C'est un beau petit village tranquille qui abrite un mélange de bâtiments traditionnels et modernes avec de petites parcelles de rizières ou de jardins potagers. J'ai commencé la marche de 5 km pour arriver à Zuigakuin. A mi- chemin, le paysage change avec grands pins et des cèdres du japon sugi. Le calme. Brise fraîche. J'en ai le souffle coupé. Cinquante-cinq minutes plus tard, je me retrouve devant un temple magnifique mais simple et sans ornements.



Le Supérieur du temple est Moriyama Roshi, un moine de 72 ans qui semble avoir 20 ans de moins. Après avoir passé 16 ans à diriger et à enseigner dans différents centres du zen Soto hors du Japon, le Roshi, qui signifie « Maître » « enseignant », est revenu à Zuigakuin.

Il accepte occasionnellement de futurs moines ou nonnes pour vivre et s'entraîner sous sa direction pendant quelques années. Certains pratiquants laïcs du temple, originaires de diverses régions du Japon ou de l’étranger, viennent ici pour quelques jours, ou mois, de retraite de vie et de méditation. Le premier soir, j'étais le seul invité.



Avec Moriyama Roshi, nous avons suivi le programme quotidien de Zuigakuin : quatre fois une heure de méditation dans le Zendo, première méditation à 5h ; trois repas végétariens légers ; des discussions zen ; et une période de nettoyage, de cuisine et de repos.

Les repas préparés ensemble se composent de divers légumes marinés, d'algues séchées en accompagnement du riz ou du soba. Il est dit que les repas légers favorisent la concentration pendant la méditation et qu'ils allègent et adoucissent ensuite notre esprit bento rigide.





Le jour suivant, un adolescent de 19 ans, avec un visage qui me rappelait un beau manga, à l'allure joyeuse, s'est présenté pour un moment de repos à Zuigakuin. Au cours du petit déjeuner, à base de soupe de riz et de « takuan » (navet mariné) qui sont les aliments de base du petit déjeuner quotidien, il a partagé ses 250 km d'un voyage à vélo de cinq jours dans la région. Il nous explique qu’il est passé par « Takigyo », un lieu de Shugendo: il s'agit d'un entraînement ascétique consistant à se placer sous une chute d'eau dans le cadre de la cérémonie de purification shintoïste.

Le garçon à l'allure manga et sa famille pensent que passer par Takigyo, puis par un temple zen lui apporteront la clarté nécessaire pour décider de son avenir après son diplôme l'année prochaine. Ce matin-là ressemblait à un des clips de Miyazaki qui prenait vie ! ( Touriste!)


Une dame japonaise de 50 ans est arrivée le dernier jour. Ishin San (ce n'est pas son vrai nom) est une professeure de littérature japonaise qui vit en France depuis 16 ans avec ses deux filles Proche de la retraite, elle pense à devenir une nonne bouddhiste. Un séjour d'un mois à Zuigakuin facilitera sa décision de choisir Moriyama Roshi comme enseignant pour la guider dans son cheminement de nonne.




À Zuigakuin, on ne s'attend pas à voir des peintures ou des ornements multicolores célèbres, ou un jardin zen soigné, mais plutôt à assister à une œuvre d'une beauté austère et d'une profonde simplicité où la nature non touchée fait partie de l'architecture.

Le bâtiment principal est une grande ferme traditionnelle japonaise vieille de 160 ans en style « gassho » (c’est-à-dire avec un toit assez pentu, pour la neige) transportée d'une autre préfecture et ré assemblée sur place. On accède au Zendo- salle de méditation-par un passage en bois.




Au rez-de-chaussée, une « Salle du Bouddha » où se trouve l’autel ; c’est là que se déroulent les chants ou prières matin et soir. L'espace de vie à côté est consacré à la cuisine et aux repas. La zone de couchage au premier étage se compose de quatre immenses chambres vides au sol en tatami permettant de loger une vingtaine de personnes. Tout en haut, un grenier pour ranger les futons, les couvertures et sécher le linge. La structure et le design sobres maintiennent un concept minimaliste qui permet de désencombrer l'espace de vie, donc de désencombrer et de libérer l'esprit. ( Belle définition de la pratique de M° Moriyama ! )





Après la troisième séance de méditation quotidienne, vers 16 heures, Roshi m'a préparé « O-furo », un bain chaud de style japonais en brûlant du bois dans une chaudière extérieure. L’habitude du bain quotidien me semblait trop généreuse, bien qu'elle ajoute une texture humaine douce à côté de la vie simple du temple. Appelez cela un luxe sans fioritures si vous le souhaitez. Une bonne hygiène fait partie de l'esprit Zen et de la générosité.



« Concentrez-vous sur votre respiration, c'est la technique de la méditation zen. C'est le présent », a répondu Roshi à ma question sur la méditation. « Le Zen n'est pas une sorte d'excitation, mais la concentration dans notre routine quotidienne habituelle ». J'ai lu plus loin dans un livre zen, « L'esprit du débutant est vide, libre des habitudes des experts, prêt à accepter, à douter et ouvert à toutes les possibilités ». La méditation consiste à défaire, à désencombrer pour que l'esprit du débutant émerge.






En terminant ma dernière matinée avant de redescendre à la gare, la vie sans fioritures de Zuigakuin m'avait permis de me reposer et de retrouver l'essentiel et la nature. Le fait que je ne me sente plus plein d’ exigences et d’attentes me semble le plus grand luxe possible ! - je sens la liberté en moi. Le regard bienveillant du Roshi, son acceptation totale de qui je suis, son rire m’ont allégé aussi de ce sentiment de « moi-même » ( self conscious) habituel.

Il y a eu des moments où je voulais juste m'enfuir pendant les méditations (comme cela arrive dans la vie). Ramener mon esprit à la respiration, au présent, est un processus qui permet d’apprivoiser cet esprit. Mon esprit se sentait léger et spacieux. Moins pour plus : voilà de vraies vacances, au sens premier du terme : un peu de vide.

Zuigakuin, avec son design intemporel et sa simplicité sans fioritures, mais avec une technologie « de-quoi-avez-vous besoin-de-plus ? » ne coûte que 4 000 yens (35 €) par nuit.

Le papier toilette, une bouilloire d'eau et un seau de cendres font partie des commodités gratuites de la cabine de toilette à chasse d'eau non automatique.




Tessan Abe, un disciple de Maître Moriyama, qui est arrivé plus tard de Tokyo, m’a déclaré : « Je pense que Zuigakuin est comme une petite école supérieure avec une bonne bibliothèque et un bon professeur. Vous pouvez apprendre en étudiant là, et être inspiré par une simple visite sur place.

Zuigakuin possède une grande salle de méditation loin de tout voisinage et Moriyama Roshi a été formé de manière très traditionnelle par des maîtres Zen renommés. Mais il est d’esprit ouvert, et prêt à aider toute personne qui désire sincèrement pratiquer ».





De nombreux monastères et temples zen au Japon se concentrent sur leur propre pratique, et ne sont pas disposés à accepter des laïcs comme vous et moi. Mais à Zuigakuin, le Roshi nous permet de pratiquer le zen dans le cadre d'un monastère, avec une forme de base et des règles souples pour s'adapter à la vie moderne d'aujourd'hui.

Voilà ce que j'ai vécu pendant mes vacances : consommer moins, être attentif à ma respiration, ralentir et simplifier. Sans haiku et sans tracas, je pense avoir trouvé le sens du moment. »


Il conclut avec réalisme : « Mais combien de temps cette compréhension allait-elle durer avant une autre occasion où mes yeux tireraient mon cerveau et où ma langue saliverait pour un repas à 10 000 yens lors des prochaines vacances ? »


La première respiration de zazen

est la dernière respiration de votre ancienne vie.

La dernière respiration de zazen

est la première respiration de votre nouvelle vie.

Moriyama Roshi


Il me semble que ce que dit ce voyageur, c’est aussi « absolument rien, absolument tout »...et je pense que c’est cela le don de la pratique juste, c’était le don de Moriyama Roshi et de Zuigakuin :« rien de spécial » ( proverbe du Zen!) seulement revenir à un état naturel après avoir enlevé le superflu, à la fois autour de soi , et donc dans sa tête… ce qui reste c’est « tout, absolument tout », le sens du moment, le sens de notre vie, la plénitude, et la joie aussi...



Cette joie de la pratique de la Voie, le Roshi l’a découverte pendant ce qui fut un moment important dans sa vie, un grand éveil au sens phénoménal, lorsqu’il a été nommé au temple de Japan Town, le quartier japonais de San Francisco, là où avait enseigné Suzuki Roshi et quand Suzuki Roshi a déménagé pour ouvrir le Zen Center, l'école Soto y a envoyé Moriyama Roshi.Il a rencontré le San Francisco des années 70, le San Francisco hippie, Peace and Love et tout ça l’a vraiment impressionné.





Je crois, d’après la façon dont il en parlait, qu’il y a trouvé une sorte d’enthousiasme spirituel, une joie spirituelle, une aspiration à la pratique dont il pensait qu’au Japon ça avait été en grande partie perdu. A San Francisco, il avait vu des des personnes dont la pratique était joyeuse, bon, un petit peu dans le style Alan Watts… ! mais il avait su voir à travers cela un vrai désir, une vraie attente, une vraie aspiration vers la pratique et vers l’Eveil.


Ce qui fait qu’à son retour au Japon, après avoir passé de nouveau quelques années dans les temples,il est allé voir ses deux Maîtres et, avec leur aide, et grâce à des dons, il a fondé « Zuigakuin », l’Ermitage de la Montagne du Bonheur Véritable ». Je dirais qu’ici ce nom de Zuigakuin fera spontanément penser à «  zazen » : ermitage retiré du monde, plus de traces, plus de poussière du monde : paix, satori, nirvana…le bonheur suprême, celui qui ne dépend pas des conditions extérieures. Et là, toutes les personnes qui venaient étaient reçues et acceptées…






« Zazen est notre pratique, disait Moriyama Roshi, celle qui a été transmise par M°Dogen et par tous les Maîtres. C'est la première aile de l’oiseau; et la seconde, c'est Sila, les préceptes.

C'est cela qui nous permet de voler dans le pur royaume du Dharma... »


Il s’appelait Moriyama, c'est son nom de famille et le nom de d'ordination qui lui a été donné, c’est Daigyo 大 行.

« Dai »veut dire grand, mais pas un grand qui serait grand par rapport à quelque chose de petit ; comme moi, je peux trouver grande une maison, que qqn d’autre trouvera petite ; mais c'est un grand sans limites, en fait, c'est un grand qui n'a pas d'opposé, qui n'est pas dans la dualité et c'est le Dai de Daishin- je pense que peut-être parmi vous, il y a des personnes qui disent ce bulletin de la Sangha de la Demeure sans Limites Daishin 大 心 c'est notre cœur véritable, sans limites.



Donc « Dai » la première partie de son nom c'est l’immensité, un espace sans limites et « Gyo » c'est là aussi le sens est différent du japonais courant, Gyo c'est la pratique au sens où Maître Dogen en parle lorsqu'il dit toujours « Pratique et Eveil sont un » . La pratique au sens concret puisque Maître Dogen parle de de la pratique comme praxis, comme « faire », la pratique dans le quotidien.

Donc on peut dire que le nom qui lui a été donné c'est à la fois « Pratique sans limite » et « Eveil sans limite. » 






Ce temple, Zuigakuin, ce fut « Daigyo », la grande pratique, la grande réalisation de mon Maître. Et puis il y a eu le temple en France, la Demeure sans Limites, et le temple au Brésil «  Daibutsuji », encore un « Dai » le temple du Grand Bouddha.


En conclusion : je croyais que j’avais de la gratitude pour tout ce que j’ai reçu de Moriyama Roshi mais je comprends petit à petit, au fil des ans, que je n’en ai pas assez...


Et à travers ma vie de nonne, j'ai réalisé que la gratitude se travaille, se cultive. « Cultiver le champ du cœur sans limites »

Nous avons tous la graine de la gratitude en nous, nous devons simplement l'aider à croître, à pousser, la cultiver, en prendre soin.


C’est ce que j’apprends encore au fil des années, c’est ainsi que je redonne, j’espère, un peu de ce que j’ai reçu : absolument rien, absolument tout.


Gratitude...



La transmission juste

est la prosternation

en signe de gratitude


L’Éveil juste est le véritable Maître

Lorsque la foi pure apparaît*

pratique et action juste ne font plus qu'un »


Noïri Roshi, Maître du lignage de Moriyama Roshi






* Foi Pure : c’est « « Jo Shin », mon nom monastique.

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