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  • Photo du rédacteurJoshin Sensei

Le monde flottant : de l’errance au voyage 

Ukiyo, ce monde flottant - flottant parce que c’est un monde d’errance -, « M’abandonnant aux nuages flottants, tout en errant dans les ténèbres... » c’est un monde où l’être humain est comme une barque livrée aux courants, livrée aux vagues, ou comme un nuage, poussé par-ci par-là par le vent.


Cette image de l’errance, de l’errance dans le Samsara,revient souvent, comme dans Saigyo, 12eme s moine poète, écrit par exemple :

« M’abandonnant aux nuages flottants, tout en errant dans les ténèbres d’un cœur stupide et borné, je tourne et tourne dans ce monde flottant. Quelle tristesse ! Tourner, tourner dans ce monde d’affliction, écume sur l’eau qui disparaît ici et se reforme là, triste condition. »


Telle est notre condition humaine, instable, mais qui est la condition du samsara, samsara représenté par une roue dans laquelle nous tournons, de renaissance en renaissance, d’utérus en utérus, disent certains textes, allant d’une forme à une autre. Mais nous pouvons embrasser cette nécessité de bouger, d’errer. Et à ce moment-là, cette errance devient voyage. Ce n’est plus exactement la même chose. C’est déjà le début du deuxième retournement.

Voilà ce que dit Basho, génial maître de haïkus au 17 ème s. :

« Le soleil et la lune sont des voyageurs éternels, même les années vont en flânant. Une vie est comme ballotée à bord d’une barque, chaque jour est un voyage et le voyage lui-même est notre demeure. Pourtant, les nuages poussés par le vent m’appellent encore et me font rêver d’une vie de vagabondage. Lorsque la brume du printemps commence à s’élever des champs, je me languis des chemins qui mènent vers le nord. »

On oublie trop que l’espèce humaine au départ est une espèce vagabonde. Nous sommes des nomades. Nous sommes installés maintenant dans nos maisons de pierre et nous pensons que, parce que nous avons des maisons de pierre, notre vie elle-même est stable. En fait notre vie est un voyage de la naissance à la mort et nous sommes des voyageurs. Et si, dans ce monde flottant, nous prenons conscience de ce voyage, alors, ce voyage à son tour prend un sens. Et nous voyons qu’à travers l’Eveil au moment présent, à travers le sentiment de la valeur de chaque instant - puisqu’il est aussi fugace et transitoire - c’est l’Eveil de notre cœur qui se fait.


Lorsque notre vie n’est plus seulement l’errance poussée au hasard par nos désirs, par nos attentes, par nos souhaits, par tout ce qui se passe autour de nous mais qu’elle devient un voyage voulu et volontaire, à ce moment-là, elle devient un Chemin. Ce voyage devient alors un Chemin spirituel. C’est tout le voyage de notre vie, que nous avons à faire : transformer notre vie un peu hasardeuse en un chemin que nous choisissons.


Le supérieur du premier monastère où je suis allée aux États-Unis, après avoir été ordonnée, m’a dit un jour : « On voit que vous avez trouvé votre direction ». Et ça m’a beaucoup frappée, c’était une idée que je n’avais pas. Après, je me suis dit : « Oui, c’est vrai. ». Que ce soit à travers la voie monastique, que ce soit à travers sa vie personnelle, à un moment, nous pouvons et nous devons trouver notre direction. La direction que nous allons donner à notre vie.


Il y a quelqu’un qui en a vraiment bien parlé, et que j’aime beaucoup, c’est cette nonne Chiyo-ni. Elle dit ceci :

« Apprécie chaque moment, c’est ce qui compte vraiment. Être simple, être ouvert à chaque son de cloche, à chaque baiser, à chaque douleur, à chaque mot, à chaque souffle de vent, suis le chemin sans peur de la claire lumière qui recouvre tout et qui illumine comme l’eau transparente. Bois cette eau pure. »


Lorsque l’on suit le chemin sans peur de la claire lumière, là où il y avait errance, nous avançons maintenant sur ce qui est, je crois, chaque voie spirituelle, chaque chemin : le chemin du cœur. Il n’y a pas d’autre chemin, je pense, pour notre vie, que de trouver – pour chacune et chacun d’entre nous - le chemin du cœur. Et à ce moment-là, le chemin que nous avons choisi, quel qu’il soit, devient une Voie.

S’engager dans une voie, c’est transformer sa vie pour en faire une voie spirituelle. C’est la possibilité d’être ouvert à tout ce qu’on rencontre. Comme le dit Chiyo-ni, que ce soit un baiser, que ce soit une douleur, c’est la possibilité de transformer tout ce que nous rencontrons en la Voie du Cœur.

Et ce retournement n’est possible justement que parce qu’il y a mouvement, que parce que cette vie humaine est mouvement.

C’est parce qu’il y a mouvement que nous pouvons avancer sur une Voie. Si nous vivions dans monde immuable et immobile, nous ne pourrions pas changer notre vie. Nous pouvons changer notre vie parce que l’essence de notre vie est un mouvement, et qu’il nous appartient de donner la direction de ce mouvement.

C’est parce que nous sommes sans point fixe que nous pouvons décider du point où nous voulons aller. Et à ce moment-là, ce qui était divagation et affliction de notre vie, devient un choix et devient une direction, et nous suivons le Chemin sans peur.

Le grand amour des japonais, en plus des fleurs de cerisiers, c’est la lune. La représentation de la lune, les poèmes sur la lune, aller voir la lune, s’asseoir le soir pour contempler la lune, etc. On retrouve ça tout le temps dans la vie courante des japonais.


C’est que la lune fait la synthèse entre les deux côtés de l’être humain, entre ukiyo, ce monde flottant, et la Voie du Cœur. La lune apparaît et disparaît, elle naît, elle disparaît et elle renaît encore, elle voyage tout le temps, comme le dit Bassho, comme l’être humain.

Elle change de forme, comme l’être humain. Il y a un moment où elle est parfaite : la pleine lune. Mais il y a un proverbe japonais qui dit : « Ne soyez pas arrogant, même la perfection de la lune ne dure qu’une seule nuit ». Elle est parfaite, puis elle change de forme, et toujours sa lumière est douce et pâle.


Le soleil, lui, ne change pas de forme, il part toujours du même point et revient au même point, il illumine trop fort ou pas assez, chauffe trop fort ou pas assez… La lune, elle, est la représentation en miroir de notre vie humaine, .


Souvent, la lune apparaît comme un guide dans notre obscurité : « Dans la sombre nuit, les nuages de l’ignorance se sont dissipés. Ah, je vois la lune ! », dit une princesse en pèlerinage. Voir la lune ! Cette lumière douce de la lune représente le Bouddha et ses enseignements qui passent à travers les nuages de notre ignorance et illuminent notre vie.

Mais pas seulement ! Si elle illumine notre vie, c’est qu’elle redonne lumière à notre propre Bouddha intérieur, à notre propre nature de Bouddha. La lune et l’être humain se rejoignent à travers la nature de Bouddha.


Ainsi, on peut voir que la lune se reflète dans la plus petite goutte d’eau. Même si cette goutte d’eau est minuscule, elle va refléter la lune aussi bien que l’océan. De la même façon, quelles que soient nos imperfections, même si notre cœur est encore minuscule, nous allons refléter la lumière de la lune parce que nous sommes tous dans ce Chemin du Cœur, tous des Bouddhas en devenir.

« Regardant la lune solitaire au milieu du ciel, à l’aube, je me connais complètement, rien n’est laissé de côté. » dit une autre voyageuse.

Rien n’est laissé de côté en nous-même, nous n’avons pas à enlever des morceaux de nous-même. C’est tel que nous sommes, avec nos imperfections, que nous reflétons la lumière de la lune et que nous reflétons les enseignements du Bouddha. Et que nous sommes cette nature de Bouddha. Et que nous sommes ce Bouddha en devenir. Parce que ce monde de l’ukiyo , ce monde du samsara est un monde imparfait et sera toujours un monde imparfait. Mais c’est là qu’apparaît la lumière du bouddha, c’est là que se dissipe notre ignorance.


Partons, avançons sur le Chemin du Coeur, puisque comme le dit Bassho :

« Le voyage lui-même est notre demeure. »


C'est merveilleux...!



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