top of page
Rechercher

la promesse...l'Illumination (3)


Contrairement à l'illumination, l'Eveil est davantage ressenti comme un processus en devenir, ce qui pourrait expliquer pourquoi au fil du temps, les moyens d'y faire référence se sont différenciés et multipliés : la libération, voir sa vraie nature, être purifié et perfectionné, atteindre la Voie, ouvrir l'œil de la sagesse, subir la Grande Mort, devenir intime, pour n'en nommer que quelques-uns. Il y a ce sentiment de marcher sur un chemin d'Eveil de notre premier à notre dernier souffle, et probablement même avant et après ça aussi. Il y a des étapes, de bonds en avant et des faux pas dévastateurs.


Alors que nous nous éveillons tous à la même chose,comment nous nous éveillons et comment nous exprimons cet éveil dans nos vies est une aventure personnelle qui donne au monde sa texture et sa richesse.

Cela ne veut pas dire que l'illumination et l'éveil soient deux choses différentes, ce sont juste différentes manières de regarder la même chose. La poète Anna Akhmatova parle de la vague qui se lève en nous pour répondre à la grande vague du destin qui s’avance vers nous. Peut-être que l'Illumination est ce qui vient vers nous, une grâce inimaginable auparavant, tandis que l'Eveil est ce qui naît en nous, pour se préparer et répondre à la grâce. Dans ce moment de rencontre, nous savons que les deux vagues surgissent du même océan.


L'Illumination est trans-personnelle. Pour les Occidentaux en particulier, il est important de garder en mémoire que l'Eveil n’a rien à voir avec les projets de développement personnel auxquels nous sommes habitués, il ne s'agit pas d'être une meilleure personne mais de découvrir notre vrai moi, ce qui est tout autre chose. Un des mystères de la voie est que certaines personnes peuvent sembler avoir des ouvertures spirituelles substantielles et continuer à se comporter comme des imbéciles. Ceci est important parce que cela donne un éclairage sur la nature de l'éveil: avoir une révélation éclairante n'est pas la même chose que d'être illuminé; nous devons laisser l'illumination nous colorer et nous imprégner au milieu même de notre vie quotidienne. Nous devons laisser la vie nous enseigner comment incarner la révélation.

Après avoir eu cette révélation, certaines personnes peuvent croire que l'éveil est d'ordre personnel alors qu'en fait, c'est la chose la moins personnelle qui leur soit jamais arrivée. Et c'est en même temps la chose la plus vraie les concernant qui leur soit jamais arrivée. Découvrir comment ces deux choses (apparemment contradictoires) peuvent être vraies et voir leurs implications sur nos vies, c'est ce pour quoi les voies d’éveil existent.


Parce qu'elle est transpersonnelle, l'illumination n'est pas quelque chose qui puisse être obtenu, ni atteint, comme une compétence ou une connaissance, pour être exploitée par l'ego. Dans certaines traditions bouddhistes, l'illumination est considérée comme une sorte de propriétéfondamentale de l'Univers, un vaste principe unificateur qui se manifeste sous une variété presque infinie de formes. L'illumination est autonome, elle existait avant qu'il n'y ait des êtres humains, ou toute autre forme de vie, pour en faire l'expérience.

Nagarjuna, grand philosophe indien qui a vécu à la charnière des deuxième et troisième siècles, l’exprimait ainsi :

Que les parfaits Eveillés n'apparaissent pas

Et que les Auditeurs aient disparu,

La sagesse fondamentale des Eveillés solitaires

Se produit en l'absence de soutien.


Extrait de Traité du Milieu. Ed. Points.


Cette vision de l’illumination est incarnée par la Prajnaparamita, mère de tous les bouddhas, qui détient l’éveil de l’univers, qu’il y ait ou non des bouddhas et des enseignements bouddhistes au cours d’une ère donnée. Nous pourrions jouer avec l’idée d’un lien avec la théorie contemporaine selon laquelle la conscience, ou son ancêtre la proto-conscience, est depuis les origines une composante fondamentale de l’univers, au niveau subatomique, qui finit par émerger sous la forme de matière à mesure que l’univers devint plus complexe.


Cela a été appelé notre visage originel, ce à quoi nous « ressemblons » lorsque nous revenons à l’instant avant que le monde de nos pensées et de nos sentiments ne surgisse. Si les Occidentaux parlent généralement de faire un rêve, dans certaines cultures d'Asie du Sud vous êtes vu par un rêve. C'est un peu comme ça: nous prenons conscience que l'Univers nous a toujours vu dans notre forme la plus pure, et maintenant nous sommes conscients de ce qu’elle est.


Tenter de décrire tout cela relève de la gageure, ce qui explique pourquoi les personnes ont toujours écrit des poèmes, réalisé des peintures et offert des tasses de thé comme autant d’invitations à voir le visage originel de quelque chose avant que nos jugements et nos opinions ne se mettent en branle. Rilke disait avec admiration que Cézanne ne peignait pas « J'aime cela » mais « Voilà ce qui est ». La révélation de l’illumination est « ce qui est », mais cela se produit au travers des moments les plus banals. Dans les histoires anciennes, c'était le bruit d'un bambou frappant la pierre ou l'apparition soudaine de cerisiers en fleurs de l'autre coté d'un ravin ; aujourd'hui, ce pourrait être en entendant de la publicité à la radio ou en voyant une cannette de bière froissée sur un chemin forestier. « Il y a un autre monde », a déclaré Paul Eluard, « mais il est dans celui-ci ». La clé pour voir cet autre monde semble être de laisser quelque chose, n'importe quoi, nous parler sans l'interrompre avec nos habitudes d'exil.

Les Chinois ont une image pour décrire comment la révélation de l’illumination est indissociable des choses de cette terre: un cœur-esprit avec deux portes. La première porte s'ouvre sur l'espace, tandis que le second s'ouvre vers un engagement compassionné à l’égard du monde. Nous franchissons la deuxième porte quand nous consacrons nos vies aux autres.


L'arc de l'éveil qui conduit vers ce genre de vie est constitué d’un chemin, de l'illumination, et de la façon de l'incarner. Les choses ont généralement tendance à suivre cette progression, mais toutes ne sont que des aspects d'une même chose, s’entrelaçant. J'ai mentionné que l’on peut imaginer l'illumination comme un seuil absolu, et cela est vrai dans le sens où nous ne pouvons plus croire en nos illusions comme nous le faisions avant, elles ne sont plus capables de nous enchaîner à leur vision limitée de la réalité. Mais elles surgissent encore, parce qu’il est dans la nature du cœur-esprit humain de les générer. La différence, c’est que nous les voyons pour ce qu'elles sont et nous pouvons même nourrir de la compassion à leur égard.

Les enseignements parlent d'une seule pensée illuminée comme étant la totalité de l'illumination, et d'une seule illusion comme étant l'ensemble des illusions. Ceci signifie que nous sommes capables des deux, mais combien est séduisant le désir de trier nos pensées en piles distinctes d'illumination et d'illusion, puis ensuite de choisir une pile plutôt que l'autre, mais ce n’est pas de cela qu’il s'agit. Il s'agit d'aller en-deçà du niveau où opère l'ego qui trie et qui choisit et de revenir au lieu où naît toute pensée - parfois déformée, parfois claire. C'est un endroit plus vrai, et plus humble, où séjourner.


Nous avons encore des corps qui se détraquent de mille façons étonnantes. Nous sommes toujours confrontés à l'injustice et aux conflits. L'Éveil ne permet pas d’échapper aux conditions inhérentes à la vie humaine. Mais il transforme radicalement la façon dont nous les vivons. Nous ne sommes plus des exilés aux abois, mais nous sommes maintenant enracinés dans notre foyer intérieur, même dans les moments les plus difficiles, pour chercher des moyens de répondre qui permettent le jaillissement de l'illumination présente partout et toujours.


Joan Sutherland Roshi

Trad. Françoise



32 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page