Je suis arrivée à paris, et, avec difficulté, avec malaise même dans ces temps de grand froid, j’y retrouve chaque fois :
Ceux qui nous questionnent
Chaque fois que je suis à Paris, je ne sais plus que faire au fil de la journée. Le matin, je mets des pièces dans ma poche, pour qu’elles soient faciles à attraper, pour être sûre d’avoir la monnaie et ne pas créer de faux espoirs...pour aller plus vite peut-être ? Etje sors et je les vois.
Il y a ce jeune homme juste en bas de chez moi, inévitable donc. Il s’est installé un jour, regard buté, lèvres pincées, peut être de colère. Puis je l’ai vu maigrir, pommettes de plus en plus marquées, teint cireux. Je me suis inquiétée. Il a commencé à me parler, me montrer ses ordonnances et des plaquettes de médicaments que je l’ai encouragé à prendre. Quand j’arrive maintenant, il me sourit, remonte son T-shirt pour que je vois les cicatrices de ses opérations et me demande des couvertures. Si je reste trop longtemps sans venir, c’est lui qui s’inquiète pour moi, s’informe de ma santé et de celle de toute ma famille. Donc là, c’est « simple », un peu d’argent, un peu de soupe l’hiver ou de fruits l’été et un peu d’attention...
Puis je m’éloigne et il y a encore une ou deux personnes que je connais : le monsieur devant la poste, mon préféré je dois dire, parce que souriant et optimiste. Cet été il m’a présenté fièrement sa fille, assise à côté de lui sur sa couverture. Je l’aide un peu lorsqu’il est sous le coup d’une sortie de territoire ; parfois je suis légèrement, comment dire, peut être pas découragée mais.. lorsque ayant réuni l’argent pour son ticket de bus il me sourit une dernière fois, emporte quelques petits cadeaux pour sa famille et me recommande de ne pas m’en faire, il va revenir très vite.
Enfin il y a la vieille dame devant l’épicerie bio : elle me bénit, roule les yeux vers le ciel, touche son coeur, essaye même de m’embrasser les mains ce qui me fait reculer d’un bond, mais je l’ai vue, un premier mai, diriger d’un regard sévère et d’une main de fer une petite troupe de jeunes filles vendant du muguet, et là vraiment elle ne souriait plus !
Et bien sûr, je vais croiser sur mon chemin bien d’autres personnes qui m’interpellent en me montrant le petit bol placé devant eux. Donner aux femmes ? Aux vieux plutôt qu’aux jeunes ? Sur quels critères quand je ne fais que les apercevoir en passant ? Donner jusqu’à ce que je n’ai plus de pièces ? Ensuite ? Je me suis vue traverser lâchement pour ne pas croiser un regard, je me suis surprise à trier, pas celui- là il n’a pas l’air aimable...Là j’ai vraiment sursauté : alors je donne si on est gentil avec moi ? Pour un ou deux euros, j’attends des mercis, une reconnaissance ? Il y a de quoi sourire d’être assis là sur le trottoir et voir les pieds des gens toute la journée ? Mauvaise conscience qui m’accompagne. Je me dis : je ne peux pas donner plus, et je pense aux bricoles inutiles que je viens d’acheter, ou que j’ai eu envie d’acheter, et je me tortille moralement !
Je ne crois pas aux arguments comme « Tu ne peux pas faire tout pour tout le monde, tu n’es pas responsable de leur situation... » Sans doute, peut-être, ne suis-je pas responsable de tous et de chacun, mais je suis responsable de moi, de cela je suis sûre. De mes décisions et de mes choix, et de mes questions. Car je sais bien ce qui me gêne le plus : ils m’obligent à interroger mes limites. Pourtant même si c’est inconfortable, je garde mes questions, car lorsque je n’en aurai plus, je sais que je passerai indifférente, sans les regarder, sans les voir, et là, ce sera moi la plus pauvre.
Joshin Sensei
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