Au-delà de la vie et de la mort
- Joshin Sensei
- il y a 2 jours
- 6 min de lecture
Les réseaux de notre vie
Cette semaine, j’ai parlé dans une première video d’Obon, la Fête des Morts au Japon : comment pendant ces trois jours, on va accueillir, remercier et laisser partir nos ancêtres, connus ou inconnus. (Je renvoie à cette video.)
Et aujourd’hui pour prolonger ce moment, j’aimerais partager un texte de Thay, Thich Nhat Hanh, que nous lisons au temple qui s’appelle Les Trois Touchers de la terre.
Je pense que ce texte pose une question qui est en amont de ces journées, à savoir: qui meurt? Qu'est-ce que notre corps? comment sommes-nous reliés à nos ascendants et nos descendants, à tout ce qui vit en même temps que nous ? Quelle est la véritable durée de notre vie?
Les Trois Touchers de la terre: vous savez l’importance de la terre dans la tradition bouddhiste : lorsque Mara lui dénie le droit de s’asseoir sous l’Arbre de l’Eveil, le Bouddha pose sa main droite sur la terre, et la prend à témoin de sa résolution inébranlable, qu’il est à sa place juste. Et la terre répond sous la forme d’une déesse qui confirme l’accomplissement futur du Bouddha. Parce que la terre est la mémoire de toutes les vies passées du Bouddha, et sans doute de tout et tous ( fossiles !), elle est ce qui nous enracine dans ce monde et ce qui nous donne notre force.
Ce qui m’impressionne dans ce texte, c’est qu’on va en cercles concentriques de plus en plus larges depuis nos ascendants et descendants spirituels et génétiques, ceux qui sont ou étaient parfaits, et ceux qui furent ou sont encore imparfaits car « je vois mes propres insuffisances et mes propres faiblesses à travers eux » , puis de là, le cercle s’étend à tous les êtres, humains ou non, vivant avec nous en ce moment dans ce monde, à la fois l’enfant qui naît et la personne qui va mourir, à la fois la chenille ou la fourmi, et l’oiseau qui va s’en nourrir. « Je me vois dans tous les êtres et dans toutes les espèces, et je vois tous les êtres et toutes les espèces en moi. »
Ce sont les deux premières respirations, les deux premiers touchers de la terre, prendre la terre à témoin et rappeler la mémoire de la terre. Enfin, à travers le lien et le partage avec tous les êtres et tout ce qui existe, nous comprenons que, dit-il, « ma durée de vie, comme celle d’une feuille, comme celle d’un Bouddha, est sans limite ».
Il n’y a plus de cercles, ou un cercle sans forme, il n’y a plus que l’espace infini, au-delà des mots et des concepts, il n’y a plus que la Vacuité : nous ne sommes pas séparés, ni dans le temps ni dans l’espace, des êtres ni d’aucune forme de vie, nous sommes l’espace pur sans début sans fin.
« Au-delà des mots, au-delà de la pensée, au-delà de la description, prajñāparamitā, sans naissance et sans fin... »
Entre chaque échelon, ou découverte, ou réalisation, une respiration et une prosternation.
Le texte
Touchant la Terre, je me mets en relation avec mes ancêtres et mes descendants dans les deux domaines spirituel et génétique.
Mes ancêtres spirituels incluent :Le Bouddha, les bodhisattva, les patriarches de toutes les générations et mes propres maîtres spirituels encore vivants ou déjà morts. Ils sont présents en moi parce qu'ils m'ont transmis les semences de paix, de sagesse, d'amour et de bonheur. Ils ont éveillé en moi mes ressources de compréhension et de compassion. Regardant mes ancêtres spirituels, je vois ceux qui sont parfaits dans leur pratique des préceptes et ceux qui sont encore imparfaits. Je les accepte tous parce que je vois mes propres insuffisances et mes faiblesses. Conscient de cela, j'ouvre mon cœur et accepte aussi mes descendants spirituels.
De la même manière, j'accepte tous mes ancêtres du côté de ma mère et du côté de mon père. J'accepte leurs qualités et leurs actions vertueuses mais j'accepte aussi leurs faiblesses. J'ouvre mon cœur et j'accepte tous mes enfants et petits-enfants et descendants avec leurs qualités, talents et aussi leurs faiblesses.
Mes ancêtres spirituels et du sang, mes descendants spirituels et du sang font tous partie de moi. Je suis eux, ils sont moi. Je n'ai pas de moi séparé. Tout existe dans le courant merveilleux de la vie en mouvement continuel.
(Trois respirations et une prosternation)
Touchant la Terre, je suis en relation avec toutes les personnes et toutes les espèces vivantes en ce moment dans le monde et avec moi.
Je suis un avec le merveilleux réseau de vie qui brille dans toutes les directions. Je vois la relation étroite qu'il y a entre les autres et moi-même et comment nous partageons notre bonheur et notre souffrance. Je fais un avec ceux qui sont pris dans une situation de guerre ou d'oppression. Je fais un avec ceux qui ne trouvent pas de bonheur dans la vie de famille, qui n'ont ni racine ni l'esprit en paix, qui ont faim de compréhension et d'amour et qui cherchent quelque chose de beau, de vrai et de sain pour y croire. Je suis cette personne qui va mourir et qui a très peur, qui ne sait pas ce qui va se passer. Je suis un enfant qui vit dans un lieu où règne une pauvreté misérable et la maladie, dont les bras et les jambes sont comme des allumettes et qui n'a pas de futur. Je suis aussi ce fabricant de bombes vendues aux pays pauvres.
Je suis la grenouille nageant dans un étang et aussi le serpent qui a besoin du corps de la grenouille pour se nourrir. Je suis la chenille ou la fourmi que l'oiseau cherche pour se nourrir et je suis aussi cet oiseau. Je suis la forêt que l'on coupe, les rivières et l'air pollué mais aussi la personne qui abat les forêts et pollue les rivières et l'air. Je me vois dans toutes les espèces et vois toutes les espèces en moi.
Je suis un avec les grands êtres qui ont réalisé la vérité de la non-naissance et de la non-mort et sont capables de regarder les formes de la naissance et de la mort, du bonheur et de la souffrance avec un regard calme. Je suis un avec ces personnes que l'on peut trouver un peu partout et dont l'esprit est en paix, qui rayonnent de compréhension et d'amour, qui sont capables de toucher ce qui est merveilleux, nourrissant et guérissant, qui ont aussi la capacité d'embrasser le monde avec un cœur d'amour et une action bénéfique.
Je vois que je ne suis pas seul et coupé des autres. L'amour et le bonheur des grands êtres de cette planète m'aident à ne pas tomber dans le désespoir. Ils donnent un sens à ma vie, une paix véritable et le vrai bonheur. Je les vois tous en moi et je me vois moi-même en tous.
(Trois respirations et une prosternation)
Touchant la Terre je lâche prise avec l'idée que je suis ce corps et que ma durée de vie est limitée.
Je vois que ce corps fait des quatre éléments n'est pas vraiment moi et que je ne suis pas limité par ce corps. Je fais partie d'un courant d'ancêtres spirituels qui depuis des millions d'années se déverse dans le présent et pendant des millions d'années continuera dans le futur. Je suis un avec mes ancêtres, je suis un avec mes descendants. Je suis la vie qui se manifeste dans un nombre incalculable de formes. Je suis un avec toutes les personnes et toutes les espèces paisibles et sans peur ou souffrantes et vivant dans la peur.
En ce moment je suis présent partout sur cette planète. Je suis aussi présent dans le passé et le futur. La désintégration de ce corps ne me touche pas, tout comme la chute des fleurs de pruniers ne signifie pas que le prunier va mourir.
Je me vois comme une vague à la surface de l'océan, ma nature étant d'être l'eau de l'océan. Je me vois dans toutes les autres vagues et je vois les autres vagues en moi. L'apparence et la disparition de la forme de la vague n'affectent pas l'océan.
Mon corps du Dharma et ma sagesse de vie ne sont pas sujets à la naissance et à la mort. Je vois ma présence avant que mon corps ne se manifeste et après qu'il ne soit désagrégé. Même en ce moment, je vois comment j'existe ailleurs que dans ce corps (70 ou 80 ans ce n'est pas ma durée de vie). Ma durée de vie comme la durée de vie d'une feuille ou d'un Bouddha est sans limite. J'ai dépassé cette idée que je suis un corps séparé des autres formes de vie dans l'espace et le temps.
(Trois respirations et une prosternation).

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