Accueillir, remercier, laisser partir...
- Joshin Sensei
- il y a 7 jours
- 8 min de lecture
Accueillir, remercier, laisser partir...
( Notes) Pour moi, comme pour beaucoup de personnes, ce n’est pas facile de comprendre l’importance du rituel, des gestes renouvelés à des dates précises. Il m’a fallu du temps pour comprendre l’importance de la forme, de mettre en forme les sentiments, l’importance des gestes.
Je voulais partager aujourd’hui ce qui m’y a aidée, ce qui m’a apporté reconnaissance et apaisement, une forme de tranquillité due au fait d’avoir le sentiment d’avoir fait ce qui était juste, une réconciliation à l’intérieur comme à l’extérieur.
OBon c'est la fête des morts au Japon autour du 15 août, trois jours où l'on prie pour le bonheur, de ses ancêtres et de tous les êtres, et pendant lesquels on accueille les ancêtres, les morts de notre famille.
Bien sûr, ici nous n’allons pas le faire de la même façon, ni au même moment peut-être mais il m’a semblé qu’il y avait beaucoup de choses intéressantes,, apaisantes comme je l’ain dit, que nous pouvons mettre en œuvre, donc je vais raconter ce qui se fait au japon, et ensuite peut-être que certains certaines pourront y trouver des éléments à reproduire ou à adapter pour en faire un moment personnel.
J’ai vu et participé à tout cela parce que le temple de Zuigakuin est situé près d’un petit village de montagne, qui avait à l’époque gardé toutes les traditions d’Obon, et que les moines et nonnes y prennent part en se déplaçant dans les maisons du village. Pour ce que j’en sais je pense que la plus grande partie de ces traditions sont encore très vivantes à travers le Japon.
Alors d'abord autant que possible, on retourne dans la ville ou le village de sa province natale, afin de participer à cette fête au sein de sa famille.
Le premier jour on se rend au cimetière et on va nettoyer les tombes, plus précisément la pierre tombale et on dit que il faut la laver avec douceur, « comme si l'on lavait le dos de sa propre mère. ». Et ensuite on nettoie la maison comme si on se préparait à recevoir des invités.
Ensuite, on fait un feu devant la maison ou dans le cimetière qui va servir de guide pour les ancêtres sur le chemin du retour, c'est comme une voix qui leur dirait « grand-père grand-mère par ici « !
Parce que pendant cette fête, on considère que les portes de l’au-delà s'ouvrent pour permettre aux ancêtres de revenir dans leur foyer où tout est prêt pour les accueillir, et il n'y a plus vraiment de séparation pendant ces 3 jours, ça c’est le point important, entre les morts et les vivants. Et à la fin des trois jours, ils regagneront leur monde, et les vivants reprendront leurs vies.
« C'est la grande fête de l'esprit ! Les melons de cette récolte sont esprit ! Esprit, les aubergines ! Esprit, l'eau de la rivière Kamo ! Esprit, les pêches et les kakis ! Les morts sont esprit, les vivants sont esprit ! Tous ces esprits s'unissent et se fondent dans la vacuité du cœur et de la pensée. Je rends grâce, et je loue le Bouddha. » Ikkyu
Cette approche assez extraordinaire où se mêlent melons, eau de la rivière et morts et vivants, tous reconnus dans la Vacuité, toutes ces formes qui sont reconnues, chantées, qui sont fêtées à la fois pour leur existence et leur non-existence !
Le lendemain, sur l'autel bouddhique qui existe ou existait en tout cas jusqu'à récemment dans toutes les maisons, on va placer des fruits, des légumes des sucreries. ( on fait ça souvent aussi sur les tombes, on peut voir du Coca, ou un paquet de cigarettes, ou des bonbons…)
Et puis aussi on sculpte des des petits chevaux ou des bœufs à partir de concombres ou d’aubergines. On leur met des petites pattes en paille et il est dit que ces animaux représentent les montures des esprits et qu’ils vont repartir avec toutes les tristesses, les contrariétés, les douleurs de des vivants de la maison.Ce jour-là, les moines du temple proche passent et chantent et récitent des soutras dans chaque maison à la fois pour se concilier les ancêtres, et les remercier.
( Parce que dans chaque village, dans chaque quartier il y a un temple, Zen, ou Tendaï, ou autre Ecole, comme une paroisse avec un pasteur, parce que les chefs de temple sont mariés, avec des enfants. Ils ont un rôle social, fêtes, funérailles, qui s’accorde avec leur vœu d’aider tous les êtres : « tous » dans le cas d’Obon va signifier les vivants et les morts. Ainsi rôle social et vœu spirituel se recoupent.)
Et le soir, c'est très joli dans les villages, et même dans les grandes villes et aussi à Tokyo, les habitants se regroupent par quartiers et et puis c’est Bon Odori, c'est une danse traditionnelle pour accueillir les ancêtres mais aussi célébrer l'été les moissons, et remercier pour l’abondance. Comme si d’une certaine façon, il n’y avait pas de différence entre accueillir les esprits des ancêtres et accueillir tout ce qui est donné par la nature.
Car on prie, on accueille, on danse pour les « ancêtres », pas seulement les personnes que l’on a connues, mais toutes celles qui constituent cette immense chaîne qui aujourd’hui soutient notre vie brève et fragile ...
Matsu moine chinois 8ème s. : « La fête de l'unité des esprits ! Dans cette doctrine, tout l'univers, et Bouddha n'ont qu'un cœur. Alors, ce cœur unique, c'est tout l'univers ! Et dans cette fête, les arbres, les herbes, le pays, la terre, tout devient Bouddha ! »
Il y a une origine bouddhiste à cette histoire, en quelques mots, un des grands disciples du Bouddha, Maudgalayana, dont la mère était morte lorsqu'il était enfant, grâce à ses pouvoirs magiques, décide d'aller la voir au paradis pour voir comme elle est heureuse , mais il ne la trouve pas au paradis et il commence à chercher à travers les six royaumes- et il la retrouve dans l'avant-dernier, le royaume des esprits affamés, des gakis, de ces êtres avides qui n'ont jamais assez, qui n'arrivent pas à manger parce qu'ils ont un cou trop petit pour pouvoir avaler la nourriture et alors ils sont affamés, affamés, avides en fait tout le temps- (je pense toujours que voir un.e gaki, c’est facile il suffit d’un miroir...! )
Horrifié, il décide, toujours grâce à ses pouvoirs magiques, d'envoyer à sa mère des plats de riz, on est en Chine là, mais chaque fois que sa mère approche, la nourriture se transforme en flamme, et elle ne peut pas la manger. Alors il raconte cela au Bouddha qui lui dit de faire des offrandes aux esprits affamés, à tous, pas seulement à sa mère, par l’intermédiaire des moines. ( Je résume)
Pour moi, pour ce que j'en ai vu au Japon, il me semble qu'il y a une grande différence entre, comment dire cette version officielle de l'école du Zen, et la façon dont les personnes du village vivaient ces journées : on se tourne surtout vers ses propres ancêtres mais pas vraiment comme des esprits affamés, mais comme des invités qu'on reçoit pour les assurer qu'ils sont reconnus, qu'ils sont appréciés, et donc qu’ils peuvent repartir dans leur monde en paix.
(C'est facile à trouver dans Internet, si vous tapez Obon, j'ai mis 2,3 liens.)
Mais ce qui m'intéresse d'abord, c’est que cette histoire et ce rituel sont très anciens : origine en Inde et puis passage en Chine, au Japon, dans tout l'Extrême Orient.
Ca montre cette difficulté que je pense que nous avons tous, comment vivre avec avec nos morts. Comment se relier, comment garder ce lien sans que ça devienne trop lourd, sans culpabilité et ce que j'aime c'est qu’en fait, Obon est quelque chose de joyeux ; Obon Odori, au départ, c’est la danse de joie de Maudgalayana quand il a vu sa mère libérée de sa souffrance. Maintenant, c’est un moment de réjouissance : on ne danse pas chez soi, pas entre soi, mais dans les rues, sur les places, dans chaque quartier. Et moi c'est une des premières choses que j'ai vu en arrivant au Japon, à Tokyo c'était ça, ces danses en bas de la maison ! On est ensemble, on danse ensemble entre vivants, et il y a aussi les vivants et les morts ensemble.
Et puis vient le troisième jour, c'est un moment très impressionnant. On le fait aussi au temple ici en Ardèche : pendant la journée, on confectionne pendant comme des petits radeaux avec des brindilles, avec des feuilles de roseaux, avec des choses très légères et puis on pose, ou on colle dessus une bougie, une petite bougie dessus. Et dans notre temple, on part en silence, on part en méditation en marche jusqu'au bord de la rivière.
Et là on va allumer la bougie, et puis on va confier le petit radeau à la rivière Bien sûr suivant le cas, ça peut être au bord de la mer, ou dans lac, et les esprits, les ancêtres d'’Obon repartent sur ces petits radeaux, parce qu'ils doivent repartir, parce que le monde des vivants n'est pas fait pour les esprits et que chacun, eux apaisés d’avoir été reçus et pas oubliés, nous apaisés de les avoir reçus et fêtés, va reprendre sa place.
Ça s'appelle « la lumière des esprits flottants » et quand on voit toutes ces petites lumières qui s'éloignent, et peu à peu s’éteignent et qui retournent à l'obscurité, c’est très émouvant et ça nous laisse à la fois, je ne sais pas comment dire, une tristesse heureuse ou une mélancolie paisible ; chaque personne va le vivre différemment, mais il y a le sentiment d'avoir fait ce qu'il y avait à faire, et de reprendre sa vie avec beaucoup plus de légèreté.
Comme je l’ai dit, ça m'a aidé à comprendre l'importance du rituel, l'importance de mettre en forme,des sentiments, des choses ressenties , l’importance de les extérioriser à travers des gestes, et avec les autres. Alors bien sûr, on ne peut pas forcément laver la tombe, suivant l'endroit où on se trouve, les conditions,etc, mais le fait de pouvoir mettre faire un petit autel, d’y mettre des dons, le fait de pouvoir me mettre devant les personnes disparues et leur dire ma gratitude, en offrant, un peu d'eau fraîche, quelques fleurs, à chacun ses gestes, cela a quelque chose de profondément apaisant.
Parce que les relations qui qui ont été vécues n’ont pas toujours été faciles, ou bien ont laissé beaucoup de chagrin derrière, ces gestes peuvent, suivant les cas, là non plus je ne sais pas comment dire, parce que chaque relation est différente, mais je crois que cela peut nous mener vers l’apaisement ou bien le pardon, ou bien la gratitude ; mais peut-être surtout à la compréhension aussi de l'ignorance mutuelle, la notre et celle des personnes qui ont été proches, on est tous enfouis dans l’ignorance ! et cela va nous mener à l'acceptation de notre vie, telle qu'elle est, et un peu ou beaucoup de leur vie, telle qu'elle a été
Ce fragile bateau flottant avec sa petite bougie, cette petite lumière dans l’obscurité nous rappellent la fragilité de notre vie aussi. Voilà : un moment on flotte comme ça avec la bougie allumée. Et puis petit à petit, la rive s'éloigne et la bougie s'éteint.
C’est le c'est le point final : on laisse partir, on laisse partir la (les) personne.s qui nous ont quittés ; on les laisse partir parce que notre vie à nous va continuer et qu'on va avoir appris quelque chose peut-être sur le pardon, sur l'acceptation. Pouvoir laisser partir, c'est vraiment important, ce n'est pas le contraire de la gratitude, ce n’est pas oublier,
On va avoir appris peut-être quelque chose sur le fait d'ouvrir les mains et de laisser partir nos émotions, nos blessures, un petit peu ou beaucoup ou complètement ! Ca va dépendre de plein de choses mais ce rituel me semble une grande ouverture de notre vie, il ouvre un espace immense dans nos coeurs.
J’encourage les personnes à trouver leur propre rituel. Ça c'est le rituel japonais, en fait je trouve qu’il est tout à fait parfait, parce qu’il est complet, avec début, milieu et fin, et ça ça nous aide aussi.
Peu importe où où on vit, avec ou sans le cimetière ou une rivière, on peut créer son propre rituel pour trois jours, pourquoi pas au mois d'août, pourquoi pas début novembre comme on le fait en France, à un moment en tous cas où on se sent accompagné.e par d’autres personnes.
Accueillir, remercier, peut-être chanter et danser pour les bienfaits reçus dans nos vies, et puis au bout de trois jours non pas oublier, mais laisser partir, pour reprendre notre vie avec plus de légèreté et plein de gratitude, le coeur purifié, l’esprit plus léger.
(Sekihan riz mochi aux haricots rouges, azukis..plat de fête et plat d’offrandes, et...délicieux !)

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