Pas savoir
- Joshin Sensei

- 8 nov.
- 6 min de lecture
Donc aujourd'hui, ça s'appelle « pas savoir ». Pas savoir, ça vient d'une expression très connue du Zen, une expression de Suzuki Roshi de San Francisco: esprit zen, esprit neuf, ou esprit zen, esprit du débutant.
L'esprit zen, c'est un esprit qui est désencombré, un esprit qui ne trimballe plus des jugements, des attitudes, des automatismes qui font que trop souvent, quand nous sommes dans une situation nous allons piocher, en quelque sorte, dans un grand sac plein de nos anciennes réponses et les appliquer automatiquement, sans voir ce qu'il y a de nouveau, sans voir que cette situation-là, ce moment-là, nous ne l'avons pas encore vécu. Donc pas savoir, ça ne veut pas dire ne rien faire, mais garder un regard clair, ou tout simplement, être vivant.e dans cet instant.
Pas savoir, c’est ouvrir les yeux, être présent.e à cette situation, et peut-être qu’alors nous allons trouver une autre réponse, plus juste, plus adaptée. Alors, la question que pose le texte d'aujourd'hui : est-ce que nous avons envie d'aller au-delà de la façon habituelle dont nous voyons les choses, de découvrir et de nous émerveiller, autrement dit, de nous réveiller dans notre vie.
C'est un texte de Zenkei Blanche Hartman de San Francisco, qui était une successeure de Suzuki Roshi. Elle nous dit que c'est un petit peu difficile de regarder, de voir vraiment ce qu'il y a à voir parce que nous avons des habitudes mentales qui font que nous classons les choses, comme les enfermer dans un tiroir.
Esprit zen, esprit neuf, ce n'est pas l'esprit de « celui qui sait » parce que nous aimons bien être la personne qui sait et du coup nous perdons contact avec la réalité parce que ce savoir va faire un écran entre nous et les choses. Garder un esprit libre c’est
zazen, là où nous pouvons voir ce qu'elle appelle l'effervescence de notre esprit qui nous présente inlassablement toutes les vues figées, les clichés sur nous, sur les autres, sur telle et telle chose et tout ça défile pendant zazen !
Elle appelle ça « les trucs que nous trimballons avec nous ». Je crois que c'est une surprise qu'on a tous vécu quand on commence à s'asseoir en méditation : le ressassement de notre esprit! Et c’est en se basant là dessus que trop souvent nous prenons des décisions !
On perd une sorte de curiosité, de fraîcheur. C'est pour ça, au début du texte, elle parle d'un repas qu'elle fait avec un jeune enfant, Indigo ! et de la façon qu'il a de regarder les choses.
L'esprit du débutant, c'est cet émerveillement du monde, de nous, des autres, c'est-à-dire c'est la merveille de ce qu'on regarde et c'est ce qui nous permet de bouger, je dirais de danser, librement au lieu d'être en quelque sorte englué dans nos vieilles idées.
Le texte :
« Je déjeunai avec le jeune Indigo au Zen City de San Francisco. Il s’était pris d’intérêt pour un objet qu’il avait repéré sur la table. Il l’avait attrapé et s’était mis à jouer avec. Il l’examinait, le mettait en bouche et le cognait contre la table - il était entré en interaction avec cet objet sans idée préconçue de ce qu’il pouvait bien être. Pour Indigo, c’était juste quelque chose d’intéressant, et il prenait un plaisir manifeste à explorer tout ce qu’il pouvait en faire. Vous et moi, nous nous serions contentés de dire : « C’est une cuillère. On la pose là et on s’en sert pour manger la soupe. » Vue sous cet angle, la cuillère ne recèle plus toutes les possibilités qu’Indigo y voit.
En le regardant faire, on peut voir l’innocence de ce « Qu’est-ce que c’est ? » Je me suis demandé si nous sommes-nous à même de regarder nos vies sous cet angle ?
Sommes-nous à même de regarder tous les aspects de nos vies avec cet esprit, simplement prêts à voir ce qu’il y a à voir ? Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais pour moi, c’est très difficile. J’ai beaucoup d’habitudes mentales - comme la plupart d’entre nous, je pense. Les enfants commencent à perdre cette innocence au bout d’un moment et, bientôt, ils veulent être « celui qui sait ».
L’esprit du débutant, c’est la pratique du zen en action. C’est l’esprit innocent, vide de toute idée préconçue et d’attente, de jugement et de préjugé. Etre simplement présent, prêt à explorer et observer, et à voir « les choses telles qu’elles sont » à la manière d’un jeune enfant, empli de curiosité, d’étonnement et d’émerveillement. « Tiens, qu’est-ce que c’est ? Et ça, là-bas ? Et ceci, qu’est que ça signifie ? »
Mais nous voulons tous être « celui/celle qui sait ». Mais si nous décidons que nous « savons » quelque chose, nous ne sommes plus ouverts d’autres possibilités. Et c’est vraiment dommage. Quand il est plus important pour nous de savoir que d’être présent à ce qui est, nous perdons un élément vital de nos vies.
Nous sommes déçus parce que, en nopus basant sur le passé, nous attendons quelque chose enet que tout ne se passe pas comme prévu. Ou nous pensons qu’une chose devrait être comme ci, alors qu’au final, elle est comme ça. Au lieu de nous dire « tiens, comme c’est intéressant ! », nous nous disons : « pfff, ce n’est pas ce que je croyais ». Dommage. La nature même de l’esprit du débutant, c’est de ne pas savoir, de ne pas être un expert.
Comme le dit Suzuki Roshi dans le prologue d’Esprit Zen, esprit neuf, « L’esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, mais celui de l’expert en contient peu ». Dommage.
Comment cultiver cet esprit libre de juste s’éveiller ? En zazen en s’asseyant simplement, en remarquant l’effervescence de notre esprit et toutes les vues figées que nous avons.
Une fois que nous remarquons ces vues bien arrêtées que nous trimbalons partout avec nous, toutes les idées préconçues que nous avons, il devient possible de les laisser passer et de se dire « Peut-être que ce sera comme ça ou peut-être pas ».
Suzuki Roshi a dit un jour : « L’essence du zen, c’est "pas toujours ainsi" ».
Et même « ainsi » n’est pas toujours « ainsi » !
C’est une bonne maxime à garder à l’esprit qui vous permettra de re-regarder plus attentivement et de voir quelles autres possibilités une situation peut receler.
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais quand j’ai commencé à m’asseoir, j’ai commencé à voir combien j’avais des vues bien arrêtées, des attentes fixes et des idées préconçues. A quel point le jugement était prompt à sortir de ma bouche. Je ne prétendrai pas en être totalement libérée après toutes ces années, mais au moins, je les remarque davantage, et parfois, je ne me laisse pas piéger par elles.
Nous devons tout d’abord voir. Sans quoi, tout ce bazar se maintiendra sans que nous en ayons conscience et affectera tout ce que nous faisons. Mais à mesure que vous vous assiérez, vous commencerez à reconnaître ceux qui reviennent sans cesse : « Oh non… encore toi ? Mais est-ce que je ne m’étais pas déjà débarrassée de toi hier ? ». Encore, et encore, et encore. Bientôt, vous ne pourrez plus les prendre au sérieux. Ils reviendront,
inlassablement, et vous vous familiariserez avec eux.
C’est juste quelque chose que vous traînez partout avec vous et ressortez à chaque occasion. Cela n’a pas grand-chose à voir avec la situation en présence. Parfois, vous vous direz : « Oh, je crois que c’est juste un truc que je traîne avec moi. Je ne pense pas que ça ait quoi que ce soit à voir avec ceci. »
Pouvez-vous vivre votre vie ainsi, de tout votre cœur ?
C’est l’esprit du débutant auquel Suzuki Roshi fait allusion et qu’il nous encourage à cultiver. Il nous encourage à voir là où nous sommes englués dans nos idées préconçues.
Être juste ici, prêts à rencontrer ce qui se présentera à nous sans attente, sans a priori et sans idée préconçue., nous demandant juste « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? » .Alors cultivons notre esprit du débutant, attentif à ne pas être un.e expert.e. Attentif à ne pas savoir. Ne pas savoir, c’est ce qui s’approche le plus du moment présent. Ne pas savoir, c’est ce qu’il y a de plus intime. Alors, notre monde, notre vie sont merveilleux.
Extrait de Seeds of a Boundless Life de Zenkei Blanche Hartman,
Ce texte est extrait d'un livre qui s'appelle « Graines pour une vie sans limite » et je trouve que tout ce qu'elle nous dit nous rappelle que nous nous limitons nous-mêmes.J'aime bien l'idée de regarder, de voir comment nous nous traînons avec nous, un grand sac plein de réponses toutes faites, de réactions programmées à telle et telle situation, on se dit, ça je le sais, je le connais, ou plutôt on ne se dit rien, et on donne automatiquement une réponse, sans se demander : Qu’est-ce que c’est ?.
Ce moment d'aujourd'hui n'est pas le moment d'hier, et ce moment on ne l'a encore jamais vécu et on peut s'y ouvrir, il recèle sans doute de nouvelles possibilités, de nouvelles actions. Qui seront plus justes si nous avons les yeux bien ouverts et la tête libre de toute programmation.
On peut être complètement vivant au lieu de réduire nous-même notre vie. C'est profiter de toutes les potentialités et elles sont immenses, je pense, que nous avons et là on rejoint notre véritable nature, sans limites et lumineuse, une nature d'ouverture et d'harmonie. Il suffit de « pas savoir »
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