La première pensée
- Joshin Sensei

- 25 oct.
- 5 min de lecture
« Nous devons être intrépides pour saisir la première pensée et la suivre. La première pensée peut guider nos vies si nous lui faisons confiance. »
Kwong Roshi ( disciple de Suzuki Roshi ) nous dit « Réveillez-vous ! C’est maintenant que vous êtes en train de vivre…Quel que soit le geste, prendre une photo, parler à qqn, boire un verre d’eau, soyez dans votre vie ! Gardez ce qu’il nomme « une perception fraîche ».Notre vie est suite de moments que nous avons tendance à classer : intéressant, pas intéressant…mais une perception neuve, fraîche de cet instant jamais encore vécu nous garde vivant dans la répétition de nos jours.
Même si vous buvez un café tous les jours, le café de CE moment est nouveau, ce moment n’a jamais encore été vécu. C’est une exigence de se réveiller !
Il dit qu’il n’est pas nécessaire, et même dommageable, de vivre seulement dans l’espoir, la peur ou dans le jugement qui tous nous font passer à côté de notre vie !« Première pensée » ce qui se présente à l’esprit en amont de la pensée, puisqu’on a vu que la pensée est ce qui classe, juge etc. La « première pensée » est libre de tout cela : une perception du monde tel qu’il est : l’eau, le paysage , les personnes : vous êtes là, exactement dans l’instant, en train de voir et écouter...Pas plus et c’est là que vous êtes complètement vivant !
Le texte :
Quand nous sommes en confiance, avec un cœur ouvert, tout ce qui arrive « au moment même où cela arrive » peut être perçu comme neuf et non pollué par les nuages de l’espoir et de la peur.
Chogyam Trungpa Rimpoché employait la phrase :« la première pensée, c’est la meilleure » à propos de ce premier moment d’une perception nouvelle, avant que les nuages colorés et colorants du jugement et de l’interprétation personnelle ne s’imposent.
« La première pensée, c’est la meilleure », quand on arrive à la voir, avant d’avoir eu le temps – très court !- de la recouvrir de toutes nos opinions, nos interprétations, nos espoirs et nos peurs, nos goûts ou nos dégoûts . C’est une perception directe du monde tel qu’il est.
Parfois nous découvrons que « la première pensée, c’est la meilleure » en nous relaxant dans le moment présent d’une façon très simple. Peut-être êtes-vous assis dans un café en train de regarder passer les gens. Soudain votre bavardage intérieur s’arrête. Vous êtes exactement là dans l’instant, en train de voir et d’écouter. Vous voyez les mouvements, vous entendez le bruit des voitures, des conversations, vous vous sentez hors du temps et dans un sentiment de complétude.
Pure présence, sans étiquette, sans trier, sans rejeter. Unité avec ce qui est là.
Vous pouvez aussi rencontrer cet état d’ouverture de l’esprit quand quelque chose de soudain se produit. Peut-être avez-vous fait l’expérience de glisser sur un sol gelé: sans penser, tout votre corps et votre esprit s’unissent pour éviter la chute. A ce moment-là vous vous sentez complètement vivant, complètement présent. Après coup, vous ressentirez peut-être une brusque montée d’adrénaline et vous direz « Oh là là ! Je suis passé près ! », cependant que le sentiment d’énergie et d’alerte persiste un certain temps.
Bien que nous la nommions « première pensée », ce n’est pas une pensée qui se met en mots. Ce n’est que la toute première inspiration, mais elle s’exprime en nous. Cela peut n’être que « Aah ! », un sursaut profond quand, au détour du sommet d’une montagne, nous voyons la vallée s’étendre au-dessous de nous. Bien sûr, nous allons alors commencer aussitôt à penser ! Peut- -être d’abord : « Oh mon Dieu ! N’est-ce pas magnifique ? » suivi de « Quel idiot j’ai été de ne pas emporter mon appareil photos ! ».
Nous avons du mal à nous arrêter là, juste dans ce pur moment, sans mots, au-delà des idées, juste en unité.
Le premier moment d’éveil le matin peut être l’occasion de noter « première pensée » parce que notre esprit n’est pas encore pris dans le tourbillon quotidien. Nous saisissons rarement le moment où nous sortons du sommeil, mais parfois c’est possible. Il y a une sorte de blanc dans lequel nous ne souvenons même pas du lieu où nous sommes ou de qui nous sommes. Ce moment peut être effrayant ou joyeux, mais dans les deux cas nous percevons vivement que nous sommes vivants !
J’ai noté des moments particuliers de cette fraîcheur dans la perception au cours d’un après-midi où je prenais des photos. Un photographe peut capter le moment où il éprouve quelque chose, mais il faut d’abord ouvrir votre esprit et voir :
- le soleil d’après-midi ricochant sur un rocher couvert de mousse jaune brillant et vert au milieu d’une clairière dans une forêt de pins
- un long nuage horizontal - en forme de bulbe - noir de pluie et pourtant éclairé par-dessous par le soleil du soir,
- la brume blanche sur la baie, à travers laquelle on distingue le faible contour d’une île un bateau,
un tas de bouse de vache fumante entourée de jaunes pissenlits .
Pour capter ces moments, vous ne regardez pas que les objets, mais aussi la lumière qui brille en eux et autour d’eux. Alors, on abaisse l’appareil photo, on regarde le monde ordinaire et il semble soudain lui aussi brillant et vibrant.
Quand vous prenez des photos, juste avant d’appuyer sur l’obturateur, votre esprit est vide et ouvert ; il voit sans mots, c’est tout.
Voir sans mots ! ( et là en ce moment, est-ce que vous écoutez sans mots?)
Quand vous êtes face à une feuille blanche, prêt à peindre ou à calligraphier, vous n’avez pas idée de ce que vous allez faire. Peut-être avez-vous un projet pour un tableau ou savez-vous quel kanji vous allez calligraphier, mais vous ne savez vraiment pas ce qui va apparaître quand vous poserez votre pinceau sur le papier.
Ce que vous faites à partir de la confiance dans votre esprit ouvert sera neuf et spontané. S’ouvrir à la première pensée, c’est la façon juste de commencer toute action.
Le même processus se produit très rapidement à tout moment de notre vie. Que nous soyons artiste ou pas, n’importe quel moment peut être vécu comme une première pensée.
Il nous faut éprouver la première pensée, encore et encore. Au moment où vous allez faire un geste, avant de le faire réellement, vous pouvez faire confiance et vous en remettre à « la première pensée, c’est la meilleure ».
Au moment de boire un verre d’eau, allons-nous juste le saisir et l’avaler ou peut-il y avoir un moment de première pensée, de claire perception tandis que nous saisissons le verre, quand nous le touchons, quand nous le levons en l’approchant de nos lèvres et encore quand nous goûtons l’eau sur notre langue ?
Quand quelqu’un nous parle agressivement, répliquons-nous immédiatement sur le même ton, ou pouvons-nous prendre un temps de première pensée avant de répondre ?
Il en est de même dans vos occupations quotidiennes : faire le café, aller au travail, utiliser la photocopieuse, assister à une réunion, marcher dans la rue, dîner...
Si vous êtes attentif à la première pensée, chacun de ces événements de votre vie peut être neuf et très clair. Nous ignorons trop souvent notre « première pensée ! » ! »
Nous sommes comme embarqués dans un flot continu de pensées qui finissent par recouvrir le monde, nous ne voyons plus rien, ou plutôt nous voyons « à travers » nos idées, concepts, préjugés...C’est la vision-miroir dont nous avons parlé : chaque chose n’est plus qu’un reflet de nous même. La « première pensée » dont Kwong Roshi nous parle ici est libre de tout : juste cela !
"Nous devons être intrépides pour saisir la première pensée et la suivre.
La première pensée peut guider nos vies si nous lui faisons confiance."
Jakusho Kwong Roshi - Tricycle – The Buddhist Review Trad : M. C. Calothy - A. Delagarde




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