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  • Photo du rédacteurJoshin Sensei

Désirs et aspirations ( notes)

J'ai reçu un mail d'un pratiquant d'assez longue date mais qui n’a pas toujours l'occasion de recevoir des enseignements et qui pose une bonne question ; c'est une question que beaucoup de personnes se posent à un moment ou à un autre : pourquoi est-ce que les enseignements disent que le désir, c'est ce qui mène à dukkha ? pourquoi est-ce que le désir c'est « pas bien » ? et, dit-il, je ne vois pas comment comment on peut vivre sans désir. Moi par exemple j'ai aussi le désir que mes enfants soient heureux ,que la paix revienne en Ukraine. J'ai plein de désirs et je ne vois pas pourquoi ce serait en quelque sorte « mal ». Dans les vœux qu'on prend, on dit : les désirs sont insatiables, je fais vœux de les éteindre tous . Pouvez-vous m’expliquer ?

Je trouve que c'est une très bonne question parce que les mots sont facilement trompeurs. J’aime bien « décortiquer » les mots, voir les différentes épaisseurs ; en effet les Enseignements disent que le désir est à la racine de dukkha, de la souffrance, celle qu'on ressent et celle qui existe dans le monde.


Qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce qu'on donne comme sens au mot « désir ». Ce désir, c'est en fait là où on ne peut jamais dire assez, là, le désir c'est exactement ce geste vous voyez : tendre la main et attraper ou en tout cas essayer d'attraper et attraper et attraper encore, et ne jamais pouvoir dire bon voilà c'est bien c'est assez.

C’est à cela qu’on reconnaît le « désir » dont nous parle les Enseignements, une avidité incessante, parfois satisfaite à court terme, mais qui reprend quand qqc de nouveau attire notre attention- et qu’on ne prête pas attention aux conséquences ! On peut comprendre alors que bien sûr ça amène de la souffrance : d'abord puisque c'est basé sur une avidité sans fin, je ne serai jamais satisfaite et je vais me battre plus ou moins avec les autres parce que je veux ça et il y en a d'autres aussi qui le veulent sûrement et donc de la colère. On peut voir cela au niveau personnel, mais aussi au niveau des groupes, ou des pays : je veux les puits de pétrole qui sont à tel endroit, je veux les mines de ceci ou de cela, l’eau de ce fleuve, ce territoire, etc. C a se produit à toutes les échelles, à notre échelle et ça se produit à l'échelle des groupes et ça se reproduit à l'échelle des pays. On voit bien que cela va entraîner toutes sortes de troubles, de problèmes et donc de souffrance pour soi-même et pour les autres.


Il est facile de voir à notre époque à quel point le désir est présent partout, d'abord parce que notre société fonctionne là-dessus on nous passe sans cesse des choses sous le nez pour nous donner des désirs !


Mais surtout parce que notre avidité est tellement forte : nous sommes en train de dévorer la terre, la terre qui nous nourrit, qui nous porte, la terre Gaïa, qui nous fait vivre : nos désirs sont insatiables et nous amènent à détruire la terre même !

Et dukkha, pour toutes ces personnes qui souffrent du dérèglement climatique, à force de sécheresse, de tempêtes, d'incendie etc donc

on peut voir que le désir, c'est vraiment quelque chose de destructeur, un geste qui ne s'arrête pas.

C'est pourquoi dans les vœux que nous prononçons, nous disons « le désir est insatiable » : il est insatiable parce que nous ne pouvons pas nous arrêter ou alors seulement provisoirement ; le désir semble comblé et puis tout d'un coup il y a autre chose là qui brille, objet, situation, personne, argent – pas l’argent concret mais le fantasme d’une richesse infinie-, etc on va encore une fois tendre la main et agripper (essayer).

Par rapport à cela, avoir le « désir » que ses enfants soient heureux, avoir le désir de la paix en Ukraine, ça ne correspond pas à la même chose, c’est seulement le mot qui est le même, mais à ce moment-là il recouvre quelque chose de complètement différent, que j'appellerais « aspiration ». Vous voyez : le désir, c'est quand on tire les choses vers nous et l'aspiration, c'est quelque chose qui est tourné vers les autres.

L'aspiration, c'est quelque chose qui nous fait grandir, qui nous fait nous élever, passer un peu au-delà de nous-mêmes, en quelque sorte.

Donc le désir et l'aspiration sont des contraires, des opposés : le désir, c'est toujours ce qui revient vers moi, alors que avoir l'aspiration par exemple que mes enfants soient heureux, je vais non seulement le souhaiter mais essayer de me conduire de telle sorte que ça se produise ; pour la paix en Ukraine, je ne peux pas faire grand chose mais je vais réfléchir à ce que je peux faire déjà à mon niveau pour être dans un monde plus en paix. Donc, si le désir est insatiable, avec l’impossibilité de dire « assez », et de s’arrêter, 'aspiration, d'une certaine façon, elle, est sans fin mais ce n'est pas la même chose : elle est sans fin parce qu’au fur et à mesure qu'on grandit, qu’on se tourne vers les autres, qu’on s’oublie un peu soi-même, on voit tout ce qui est possible, et on a l’envie , le « désir » de continuer à travailler avec, pour les autres.



Maître Dogen dit que plus il y a de lumière, plus l'obscurité est profonde. Parce que, on en a déjà parlé, quand vous allumez une lumière dans une pièce obscure, imaginez une bougie, tout le reste est encore plus obscur. De même, plus notre aspiration grandit et plus nous voyons tout ce que nous pouvons faire et à ce moment-là, nous voyons l'aspiration est sans fin, mais c’est une vision qui nous porte. Elle est sans fin parce qu'elle nous donne envie de continuer à faire des choses pour le bonheur de tous, ou des choses plus petites mais pour aider les personnes qui nous sont proches etc ; de toute façon, ça signifie faire quelque chose pour les autres et du coup pour soi aussi bien sûr puisque là contrairement au désir qui apporte l’insatisfaction, ça apporte la satisfaction en fait de pouvoir aider. Une satisfaction complètement différente de la satisfaction toujours repoussée de nos désirs.


Le vœu dit : « nos désirs sont insatiables je fais vœu de les éteindre tous » Ca, c'est le deuxième mot important : « éteindre », parce que je ne me dis pas Ah je vais lutter contre mes désirs, je vais les arracher, les déraciner ; je vais faire des efforts incroyables pour arrêter de d'avoir envie de ci, de ça et de tout ! Non ça ne dit pas ça ; ça dit « éteindre » c'est comme une lampe à huile, vous savez parce que c'est la comparaison qui était utilisée dans les Enseignements, si on ne remet pas d'huile, petit à petit la lampe s'éteint.

Et là je crois que c’est l’aspiration qui nous aide à éteindre nos désirs. Un peu comme des vases communicants : plus l’aspiration, tournée vers les autres, grandit, moins il y a de place pour un « désir » avide, destructeur, égoïste .


Oui, il va falloir un effort c'est vrai, un effort quand même parce qu’ on va changer et si vous voulez changer quelque chose dans votre vie, il faut une décision et un effort ! Mais ça va être l'effort de ne pas toujours prendre le sens de la pente... ou bien de ne pas toujours marcher dans les ornières qu'on a creusées…. ça veut dire l'effort de faire un petit pas de côté et de dire bah ça non, parce qu’il y a quelque chose de plus grand, de plus satisfaisant . C’est toujours ça notre vie, toujours laisser quelque chose qui n'apporte pas le bonheur au sens véritable du bouddhisme pour quelque chose de plus grand qui va dans le sens du bonheur véritable, c'est à dire le mien et celui de tous les êtres. Donc bien sûr il y a un effort à faire mais ça ne doit pas être quelque chose de douloureux, ce n'est pas lutter contre soi-même mais grandir, s’ouvrir, je dirais mieux respirer, avoir plus d’air et d’espace !

Ça commence aujourd’hui, un peu, on le voit : la prise de conscience de nos désirs, et de leurs conséquences. Ca se fait à travers la méditation où nous voyons que nous sommes reliés et que nous nous n'avons pas besoin de nous battre tout le temps pour obtenir quelque chose, à travers les Enseignements qui nous montrent l’enchaînement qui mène à dukkha ; mais aussi à travers une réflexion personnelle pour s’assurer que nous pouvons, alors... à peu près, plus ou moins, et peut-être pas tout le temps... vivre en disant « assez ». Il me semble que cette prise de conscience est en marche ; que nous voyons que nous pouvons passer du désir égoïste et destructeur à l'aspiration : l'aspiration de vivre d'une façon légère et l'aspiration de vivre sans détruire et l'aspiration de vivre en harmonie avec la terre et avec tous les êtres.



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