Harada Roshi appelle notre vie : « L'attachement illusoire au soi » Nous passons toute notre vie à essayer de protéger cette illusion. Mais lorsque cette illusion prend fin, nous dit-il, « toutes les choses deviennent vides ».
Alors j’ai trouvé un koan intéressant pour illustrer cela, mais d’abord le texte :
Tout existe, nous dit Harada Roshi même l'univers entier, tout existe à travers nos sens -nos six sens parce que l'esprit est aussi considéré comme un sens- c'est-à-dire à travers le moi formé, comme on l’a vu, de perceptions, de sensations, etc.
Dès que l'on perçoit quelque chose, on donne une réponse à cette perception, pour aller vite : j'aime /j'aime pas, je veux /je veux pas, on en a parlé.
Cette réponse, que nous donnons à ce que nous percevons, fait que nous posons un sujet, nous, en train de regarder écouter, penser etc. et un objet le son, la chose vue, la situation, etc et nous donnons une réponse à cet objet.
Ce qui nous amène à vivre en fait, dans un monde assez petit, dans un monde qui n'existe qu'à travers le filtre de nos perceptions et de nos réponses à ce que l'on perçoit- non seulement parce que nous avons une capacité limitée de voir ou d’entendre etc, mais parce que nous essayons sans cesse d’attraper ce que nous voulons, et de repousser ce que nous ne voulons pas ! Nous vivons « dans » ce filtre- qui est une séparation ! Ce qui nous empêche d'être dans cette espèce de flux, de dynamique, d'élan du monde.
Dans un autre passage Harada Roshi dit : « A travers notre attachement au moi, nous créons toutes sortes d’anxiétés, de maux et de confusion : c'est l'attachement de notre moi à l’illusion. Nous libérer complètement de cet attachement par nous-même, par nos propres efforts, et faire de cela une réalité, constitue la pratique du zen. »
Cette libération va être, nous dit Harada Roshi, la fin du « filtre », la fin de la séparation entre nous-même et toutes les choses, « chose » au sens large, objets, situations, personnes, états mentaux, etc .
Il dit alors que lorsque nous arrêtons d'être séparés, toutes les choses deviennent vides.
Est-ce que ça veut dire que nous ne pouvons plus vivre une vie quotidienne ordinaire ? Je crois que c'est ce qu'on imagine souvent et c'est pourquoi il nous dit : « De nombreuses personnes se font une image fausse de ce qu’est l’Illumination ; elles l’imaginent comme une expérience spécifique à un moment particulier ».
C’est faux parce que si je dis : avant l’Illumination, j'étais là et maintenant je suis ici, dans l’Illumination, eh bien on entend bien que tout est encore vu à partir du « je », du moI- l’Illumination devient un objet, séparé du « moi- sujet ».
J'aimerais illustrer cela par un koan qui s'appelle « Le vêtement à sept bandes- c’est-à-dire le vêtement monastique- et le son de la cloche » c’est un koan célèbre de Mumon Eikai ( 12 ème s)
Voici le texte qui a l'air très simple comme toujours:
« Un moine demande: « Le monde est vaste et immense. Pourquoi mettez-vous votre robe à sept bandes- la robe monastique, la robe de l’Eveil- lorsque vous entendez le son de la cloche? »
C'est-à-dire, si vous êtes une personne éveillée, comment est-ce que vous pouvez continuer à vivre une vie rythmée par des règles extérieures qui peuvent être vu comme des contraintes ; c'est-à-dire : est-ce que vous avez encore un « je » qui va se préparer pour répondre à l'appel de la cloche.
Vous savez dans les temples, hop la cloche, hop on saute en quelque sorte et on je ne dis pas se précipite mais enfin on y va vite : une cloche pour zazen, une pour les repas, une pour le samou, le travail manuel etc.
Alors comment un être éveillé peut-il ainsi répondre à l’appel- maintenant si je dis : répondre à ce qui se présente, on a déjà un indice….
La réponse de Mumon:
« Lorsque vous étudiez le Zen, vous ne devriez pas être influencé par les sons ou les formes.
( Autrement dit, les fonctions de nois six sens. Ce sont les 5 skandhas qui sont influencés et influençables : agréable/désagréable..Donc n’étudiez pas le zen à partir de votre moi, ou à travers le filtre de votre moi)
Même si certains vous disent qu'ils ont atteint l'Eveil en entendant un son, ou en voyant une forme, ceci n'est que la façon ordinaire de percevoir les choses.
( Pourtant : le bruit du caillou contre le bambou, la vue des fleurs de cerisier, et hop l’Eveil, c’est très courant dans les histoires Zen...Critique..?)
Ne savez-vous pas que le pratiquant vrai du Zen commande au son et contrôle les formes, à chaque instant ?
( ( Est-ce que c’est l’Eveil qui nous fait tourner, ou est-ce que c’est nous qui faisons tourner l’Eveil…?)
Si vous prétendez être libéré, alors, dites-moi: est-ce que le son vient à vos oreilles ou est est-ce que vos oreilles vont vers le son ?
( Où est l’intérieur, où est l’extérieur ?)
Si les deux, son et silence, s’évanouissent et sont oubliés, à cet instant, comment peut-on expliquer la perception ?
Écouter avec vos oreilles n'est pas perception ; pour percevoir réellement, intimement,vous devez écouter avec vos yeux.
(Percevoir intimement, c'est-à-dire le moment où disparaît à la fois celui qui perçoit -sujet, ce qui est perçu -objet ; le moment où les deux ne sont plus qu’un)
Je reprends le texte entier :
« Lorsque vous étudiez le Zen, vous ne devriez pas être influencé par les sons ou les formes.
Même si certains vous disent qu'ils ont atteint l'Eveil en entendant un son, ou en voyant une forme, ceci n'est que la façon ordinaire de percevoir les choses.
Ne savez-vous pas que le pratiquant vrai du Zen commande au son et contrôle les formes, à chaque instant ?
Si vous prétendez être libéré, alors, dites-moi: est-ce que le son vient à vos oreilles ou est est-ce que vos oreilles vont vers le son ?
Si les deux, son et silence, s’évanouissent et sont oubliés, à cet instant, comment peut-on expliquer la perception ?
Écouter avec vos oreilles n'est pas perception ; pour percevoir réellement, intimement,vous devez écouter avec vos yeux. »
Donc nous dit Mumon, tant que nous nous appuyons sur les perceptions du moi : « il y a un son » alors au départ, le son me dit : c’est l’heure de la méditation, c’est l'heure de manger, etc
mais parce qu’il n’y a pas que la perception, ça va devenir : ah déjà la cloche de zazen, je voulais continuer à lire, ah enfin la cloche du repas, j'ai faim etc.
Tant qu’il y a le moi qui se projette dans cette perception, il y a encore un sujet et un objet ; ce n'est qu’au moment où la perception n'est plus liée à l’organe des sens, ici l’oreille, que je ne vais plus rien projeter, que l'on peut devenir « un avec » et à ce moment-là, comme le dit Harada Roshi « Une certaine situation disparaît et toutes les choses deviennent vides ».
Elles sont vides, parce que nous ne les remplissons plus de tout ce qui accompagne sans cesse notre perception : notre contentement ou mécontentement, notre espoir, déception, etc.
Les choses sont exactement comme elles étaient, mais c’est moi qui change, je ne les remplis plus, la différence est là !
Je suis libérée de ce moi plein d’émotions, de problèmes, d’attentes ; ce qui reste c’est l’espace, la paix. ¨Pour moi je crois aussi une stabilité que l’on trouve en zazen.
C’est la joie de se déposer soi-même !
Donc est-ce que c'est simple, bon, peut-être pas mais je peux me dire, j'ai un peu compris, j'ai une direction, je continue à faire les choses mais sans les remplir, je reste dans l’unité, ce n'est pas très clair comment on va y arriver mais ça nous donne une direction.
Malheureusement, dans le Zen, ce n'est jamais si simple, il y a toujours un paradoxe parce que voilà ce que dit Mumon ensuite- Il y a toujours une sorte de petit poème qui conclut le le le koan :
« Si vous êtes éveillé, toutes les choses sont une et semblables
Si vous n'êtes pas éveillé, toutes les choses sont diverses et disparates
Si vous n'êtes pas éveillé, toutes les choses sont une et semblables
Si vous êtes éveillé, toutes les choses sont diverses et disparates »
Donc tantôt il va nous dire si vous vous êtes éveillé, toutes les choses sont une, ça veut dire nous sommes un avec toutes les choses, on l’a vu ; et le moment suivant, il va nous dire le contraire : si vous êtes éveillé, toutes les choses sont diverses et disparates...
Harada Roshi: « De nombreuses personnes se font une image fausse de l'Illumination. Elles l'imaginent comme une expérience spécifique à un moment particulier. » Ah ! Je l’ai eu, je la tiens cette expérience, pendant le zazen, le petit bruit du caillou, les arbres en fleurs...
Voilà contre quoi nous met en garde Mumon: il y a la vacuité- quand tout est un et il y a les phénomènes quand il faut mettre sa robe monastique ; il y a le un et il y a la diversité….Et nous vivons dans les deux, à l’intersection des deux.
Donc, n’essayez pas d’attraper un côté et de repousser l’autre ; Harada Roshi nous l’a dit : ne rien saisir, ne rien rejeter…
L’Eveil est est exactement le fonctionnement de la vie quotidienne : répondre à ce qui se présente, « sans pensée », répondre de tout son coeur, et retrouver le grand élan de la vie...
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