Un ennui brûlant: la méditation
- Joshin Sensei
- 23 nov. 2024
- 6 min de lecture
Un ennui brûlant : la méditation
Aujourd'hui je voudrais parler de la méditation, et pour moi, cette méditation s'appelle zazen.
Tous les textes dont je parle en ce moment, et puis tous les Enseignements en général, sont toujours basées sur zazen, c'est-à-dire que la connaissance, la compréhension du Dharma, du véritable moi, etc. tout cela est basé sur la pratique de zazen, de la méditation.
Dans Essence du Zen, Harada Roshi dit : « J’aimerais que vous vous jetiez dans zazen, et que vous oubliiez complètement vos propres pensées ; cela est devenir intime avec son vrai soi. » « Ne donnez pas l’excuse que vous n’avez pas le temps de pratiquer zazen, j’aimerais que vous essayiez d’intégrer zazen dans votre vie : zazen est la pratique de la libération de soi-même par soi -même » et Katagiri Roshi : « Le bouddhisme consiste à étudier directement la sérénité et la tranquillité, et à les pratiquer. Sérénité et tranquillité doivent se manifester en nous quand nous faisons zazen, ou quoique nous fassions. »
De même, avant de faire le partage, de parler, il y a toujours une méditation même si je vois bien qu'il y a plus de personnes qui regardent le partage seul, mais je pense que c'est dommage parce qu’ il y a une façon d'entrer dans les Enseignements, de les entendre qui est complètement différente si on le fait avec zazen. Sinon je pense qu’on tombe dans ce qu'on appelle la « philosophie du bouddhisme » ou bien dans un exercice intellectuel, de compréhension intellectuelle, et ce n'est pas du tout ça, la parole de Bouddha, même si l’intellect n’est pas à rejeter !
Alors aujourd'hui je voudrais parler de zazen parce que j'ai trouvé un texte d’un enseignant tibétain qui résume bien la difficulté de zazen. Et contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas le corps qui pose problème, mais notre esprit !
Je crois que c'est pour ça qu'il y a relativement peu de gens qui pratiquent la méditation parce que ça fait naître énormément de résistance dans notre esprit. Parce qu’il y a une résistance au lâcher prise, à l'ouverture, au fait de dépasser ou plus exactement passer à travers nos pensées habituelles, notre fonctionnement habituel.
Donc je commence par ma propre approche, et ensuite je passe aux commentaires de cet enseignant tibétain.
C’est pour toutes les personnes qui ont essayé et qui ont pensé : la méditation, ce n’est pas pour moi ! Et ceux et celles qui ont continué...ça va leur rappeler des souvenirs !
À la base, une idée simple : transformer notre esprit, on en a assez de ce fouillis bavard, émotionnel et agité, on a l’idée qu’avec la méditation on va le transformer en une place claire et tranquille, ou lumineuse... on peut trouver plein d'adjectifs... L’image qui m’est venu très tôt dans la pratique de zazen : Imaginez que vous avez chez vous un placard surchargé, qui déborde, avec des trucs qui vous tombent sur la tête sans cesse et que tout d'un coup vous vous retrouvez au milieu d’un merveilleux paysage, spacieux, lumineux ...tellement merveilleux.
Le plus intéressant est que rien ne vous manque de ce qui était dans ce placard alors que vous aviez de l'attachement, un attachement extrême pour toutes ces choses qui vous tombaient sur la tête mais là dans ce nouvel espace, rien ne manque , vous êtes tranquille, satisfait.e ; vous n'êtes pas seul, vous vous sentez relié, accompagné par tout et tous, par tout ce qui a pu exister et en même temps, pour prendre une image plus contemporaine que j'aime à moitié, vous recevez l'énergie de tout ce qui existe.
Alors évidemment on se demande qui n'aurait pas envie de faire ça, qui a envie de rester dans son placard sombre et douloureux… ?
Le point de départ des Enseignements est que tous nous aspirons à cette réalisation, espace, lumière et contentement, que nous cherchons d'une façon maladroite, ne faisant que rajouter des choses qui vont encore plus nous tomber sur la tête dans notre placard.La méditation zazen est le meilleur moment pour voir exactement comment nous fonctionnons et comment changer...Mais est-ce que nous avons vraiment envie de le voir ? Pas sûr ! Nous aimons l'idée -fausse- que nous sommes maître de nous et de notre esprit...Que notre esprit est riche, intéressant...que nous sommes profonds...et puis on commence la méditation.Et là , surprise...pendant zazen, au bout de plusieurs heures, ou bien de plusieurs minutes, ce qui nous tombe dessus, c'est le vide..pas le Vide avec un grand V de la Vacuité, mais le vide, le creux, le rien, le gris...l'ennui total!
Notre esprit va chercher désespérément à se raccrocher à quelque chose: qu'est-ce que je fais là? C'est idiot ce zazen? et puis on trouve ah!l’impatience...c’est encore long ? Le nez me gratte...et enfin la douleur: il faut que je bouge, j’ai trop mal aux jambes...- En fait, surtout j'ai envie de me lever et partir parce que je n'ai pas envie de me voir en face. Si jamais la porte du placard s'ouvrait et que tout ce que je ne veux pas voir déboulait…c'est insupportable. Alors est-ce que je reste face à cet ennui...ou pas ?
Joshin Sensei
Ennui brûlant, un disciple de Trungpa Rimpoche
La méditation, dit un jour Trungpa Rimpoche est : « Ennuyeuse, ennuyeuse, ennuyeuse ! ». ce n'est pas ce que nous voulons entendre. Ceci dit, il avait plus d'une définition de l'ennui.
« L'ennui brûlant » est ce sentiment d'irritation extrême en méditation. Nous voulons absolument nous lever et faire autre chose. Nous sommes en colère après nous-même, après l'enseignant, après la méditation elle-même. Et nous nous demandons avec incrédulité : « Pourquoi est-ce que je suis en train de faire ça alors que je pourrais faire quelque chose d'agréable ? » ou plus finement, ( avec ruse!) : « pourquoi est-ce que je suis en train de méditer alors que je pourrais être en train de faire quelque chose d'utile pour les autres? »
Ces sentiments de colère, d'irritation, de contrariété viennent souvent d'une attente qu’on a au départ: « Ce n'est pas ce que je voulais ! Je n'ai pas rejoint l'armée des méditants pour m'ennuyer au-delà du possible ! Je pensais vraiment que j'allais arriver à quelque chose, et rien ne se passe ! Je veux me lever et partir ! »
Et cela c'est le point crucial, parce que nous pouvons vraiment nous lever et partir. Mais si nous abandonnons la pratique, par contre nous ne saurons jamais abandonner nos attentes.
Voici un autre jugement sur notre méditation : « Cela ne marche pas, n'est-ce pas ? »
Nous devons comprendre que tout cela, c'est notre esprit jouant ses tours habituels. L'irritation, aussi forte et exigeante soit-elle, n'est qu'un autre sentiment que nous devons faire venir à la surface pour le regarder de plus près.
Si nous nous enfonçons dans l'ennui brûlant de façon fausse, cela peut vraiment nous amener à abandonner la méditation : peut-être devrions-nous essayer le soufisme, - et je n'ai rien contre le soufisme!- ou bien une autre tradition ? Mais pour travailler vraiment avec l'ennui brûlant, nous devons nous cramponner exactement là. Si nous devons le faire en serrant les dents, alors serrer les dents devient une part de notre méditation.
Combien de temps dure cet ennui brûlant ?Cela dépend de vous et de votre rapport avec la méditation.
A un moment donné, l'esprit abandonne. Nous arrêtons de nous battre avec cet ennui brûlant, avec notre irritation, avec tout ce qui nous semble pire que ça ne l'est. Bien sûr, nous ne rendons compte de cela que rétrospectivement. Sur le moment, notre esprit bout, et notre corps aussi ! S'asseoir tranquille est pénible. Alors nous nous tortillons, mais se tortiller est tout aussi pénible ! Changer de position ne semble jamais marcher, nous sommes énervés quelle que soit la position adoptée. Notre respiration est irrégulière, notre esprit malheureux, nos émotions nous brûlent, et on ne peut pas rester immobile...On dirait que nous ne sommes vraiment pas faits pour la méditation !
Si !
Arrivé là, nous devons capituler, nous rendre. Et il n'y a pas de technique pour faire cela ; nous nous rendons en nous rendant. Nous nous permettons de vivre toute cette irritation, de la traverser et nous arrivons de l'autre côté.
On pourrait appeler ça du désespoir créatif. Avec le désespoir ordinaire, nous devenons juste déprimés. Le désespoir créatif nous permet d'abandonner l'ennui brûlant – comme si l'esprit ne voulait plus s'embêter dans cette irritation, dans cette souffrance !
Alors le placard commence à disparaître...et l’esprit reprend sa forme naturelle : sans forme , sans limites...
Rigdzin Shikpo.Buddhadharma , Summer 2008. trad. Joshin Sensei

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