C’est un détour pour voir comment cette « lumière radieuse » dont j’ai parlé, et je parlerai , s’exprime dans notre quotidien...C’est asse amusant au début, ce koan, et puis , quand on y réfléchit, ça nous pose des questions intéressantes...
En Chine il y a une famille d’artisans célèbres, le père, la mère et les deux enfants Pan ; ils tressent des paniers, et vont les vendre au marché.
Imaginez un matin d’été, il fait beau, les oiseaux chantent dans les arbres, le ciel est sans nuages. Le père et la fille partent pour la ville, sans doute très chargés, on peut imaginer plein de paniers dans des sortes de hottes.. ? et ce jour là peut-être qu'il y a une pierre au milieu du chemin, peut-être une racine qui dépasse, toujours est-il que le père bute et tombe.
Oh ce n'est pas très grave, il s'est un petit peu écorché, le genou écorché peut-être, les paumes des mains et puis ses paniers se sont éparpillés partout. Il commence à se relever quand tout à coup, sa fille se jette par terre à ses côtés.
« Que fais-tu donc? » grommelle le père. « Je t’ai vu tomber, répond-elle, alors je t’aide! »
Alors lui il n’en croit pas de tes yeux, il la regarde éberlué ! Qu'est-ce qu'elle fait ? C'est incroyable ça, au lieu de s'inquiéter déjà, de lui demander comment il va, est-ce qu'il ne s'est pas fait mal et puis de lui tendre la main, eh bien, non elle se jette par terre et elle aussi, elle répand tous ses paniers autour d'elle et en plus elle lui dit « alors je t'aide » !
Non évidemment, ce n'est absolument pas logique. Aider son père, ça aurait déjà de demander si ça allait, s’il ne s’était pas fait mal et puis lui tendre la main pour l'aider à se relever, bon peut-être en riant un peu, en se moquant un peu, mais aussi en râlant un petit peu ? En disant je t'avais bien, il faut faire attention ou peut-être je t'avais dit qu'il te fallait des lunettes ( si les lunettes existaient je n'en sais rien?!) ou bien qu'il fallait prendre une canne ou bien que tu es trop vieux maintenant tu es trop chargé...et puis elle aurait aidé en râlant un petit peu, mais un peu en riant aussi regarde-toi quelle allure tu as etc.
Et lui, il aurait essayé de trouver quelque chose pour rouspéter un petit peu. C'est la faute de cette racine. C'est vrai, c'est difficile de se mettre en colère après une racine mais en essayant bien...
Et là non.
Elle le rejoint. Elle le rejoint parce que, peut-être, c’est de là, de la même position que lui, qu’elle peut mieux comprendre ce qui lui arrive.
Qu’est-ce que ça fait d’être par terre quand tout le monde est debout autour de vous? Qu’est-ce que ça fait quand on tend la main vers vous, vous qui êtes en bas? « Alors je t’aide »: comment fais-je moi, pour aider l’autre, la personne qui est « tombée », de façon concrète ou métaphorique, malade, ou malheureuse, ou incapable de se relever ? Est-ce que ma façon d’aider est toujours la bonne? Oh, pleine de bonne volonté, du moins le plus souvent, oui, avec le souci d’écouter, le désir de réconforter, mais…
Quand je donne des conseils, quand j’explique à quelqu’un ce qu’il peut faire, d’où est-ce que je parle? Quand je partage, quand je donne, où suis-je? Là-haut, sur mes deux jambes, surplombant la personne, ou juste à côté d’elle, là où elle est? Moi qui ne suis pas « tombée », pas malade, pas malheureuse, pas dans la rue, où vais-je me mettre pour vraiment aider la personne à côté de moi?
« Alors je t’aide »: on dira que ça ne sert à rien de se laisser tomber, qu’il faut avoir l’esprit pratique: si tout le monde est par terre, on se demande qui va ramasser les paniers, ou mettre la vie en ordre!
Pourtant. Pourtant peut-être qu’il faut commencer là pour que nous nous relevions ensemble, que nous nous aidions mutuellement. Peut-être que je serai la plus maladroite; peut-être que cela nous fera rire de nous voir tous les deux au même point? Ou bien finalement c’est l’autre qui m’aidera? Quel beau risque à prendre! Passer de celle qui aide à celle qui est aidée…
Au lieu de lui tendre la main d'en haut, de se pencher vers lui, de dominer un petit peu de sa hauteur et de se baisser, au lieu de cela, ils s’aident l'un l’autre pour se relever et puis ils s’aident l'un l'autre pour ramasser les paniers, les remettre dans les hottes, et puis ils repartent ensemble, vraiment ensemble exactement pareils. Peut-être qu’ ils rient un peu de ce moment de partage, peut-être qu'ils se donnent le bras, et avancent joyeux… !
Moi je trouve que c'est une histoire extraordinaire, et j'aurais aimé voir l'expression du père quand il a vu sa fille étalée par terre à côté de lui et je crois que j'ai eu la même expression la première fois où j'ai lu cette histoire -koan ! Vraiment je n'en revenais pas, je n'avais jamais imaginé qu'on pouvait aider quelqu'un comme ça, simplement en se mettant à côté de lui, exactement comme lui et ensuite tout partager ; je n’avais jamais imaginé qu'on pouvait se relever ensemble, qu'on pouvait réparer les dégâts ensemble, et puis repartir d’un même pas ensemble...
Alors pour moi cette histoire, eh bien, c'est la suite, c'est dans la continuité totale de tout ce que j’ai lu et dit, parce que pour moi cette histoire, c'est une histoire pleine de cette lumière radieuse, éblouissante qui emplit tout l’univers. Se jeter par terre est la lumière radieuse, s’aider l’un l’autre est la lumière radieuse, en rire est la lumière radieuse...
Comentarios