Question à Thich Nhat Hanh : je souffre beaucoup. Je sais que la souffrance fait partie de ma pratique. Elle a deux raisons : une maladie chronique qui provoque beaucoup de douleurs physiques, et mon inquiétude pour le monde en tant qu’activiste écologique. Parfois je me sens vraiment désespérée en regardant le monde, la violence, la pauvreté, et la destruction de l’environnement.
Quelles pratiques recommanderiez-vous aux personnes comme moi, avec des douleurs physiques mais aussi cette douleur devant l’état du monde ?
Résumé de la réponse de Thay ( Joshin Sensei) :
Je pense que c’est une question qu’à un moment nous nous posons tous dans notre pratique : comment être en paix dans le monde tel qu’il est… ?
Tout d’abord, le regard juste : le monde et nous, ne sommes pas séparés, Thich Nhat Hanh dit :« nous devons d’abord faire la paix et réduire la souffrance en nous-mêmes, parce que nous représentons le monde » .
Donc l’inquiétude, la souffrance, même pour une « bonne cause » se révèlent être des obstacles à notre calme intérieur, difficile alors dans ces conditions de chercher la paix pour l’extérieur. Il dit aussi : « La première chose que nous pouvons faire pour aider le monde est d’être solide, en bonne santé, autant que possible, aimant et gentil avec nous-mêmes. » Ce qui veut dire savoir prendre soin de soi, sans penser que c’est de l’égoïsme, et qu’il y a, c’est sans doute vrai, des personnes plus malheureuses que nous.
Prendre soin de soi c’est comprendre que chaque geste, chaque action que nous faisons – chaque état d’esprit dont ils découleront- ont des répercussions à l’extérieur : apprendre à être aimant avec soi-même, malgré nos limites, c’est s’ouvrir à aimer les autres, malgré leurs limites.
Thich Nhat Hanh propose de remplacer « être désespérée » par « ressentez la merveille d’être vivante ! » Vous savez qu’il est dit dans tous les textes que la vie humaine est rare et précieuse ; c’est la seule qui permettent de sortir du cercle du samsara, ; c’est la seule qui nous permette d’aider tous les êtres...Quand nous sommes tristes et désespérés, nous ne pouvons plus apporter grand-chose aux autres, et notre tristesse s’étend autour de nous. Quand nous sommes ouverts à la vie, nous accueillons tout ce qui se produit, et nous sommes prêts à aider et encourager les autres.
Enfin, il nous rappelle que nous pouvons éprouver la légèreté lorsque nous pouvons déposer ce « sac de peau » ( c’est de Hakuin!), ou pour moi, ce sac à dos bien lourd que nous promenons partout avec nous...Lâchons prise, laissons partir nos rancunes et nos misères...Et ceci n’est pas indifférence au monde, mais ne pas l’alourdir !Avançons léger dans le monde.
Thich Nhat Hanh : En tant qu’activiste, nous voulons faire quelque chose pour qu’il y ait moins de souffrance dans le monde. Mais nous savons que lorsque que nous ne sommes pas en paix, lorsque nous n’avons pas assez de compassion, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour aider le monde. Nous sommes dans ce monde ; nous devons d’abord faire la paix et réduire la souffrance en nous-mêmes, parce que nous représentons le monde.
L’amour, la paix, le bonheur doivent toujours commencer en nous mêmes ; il y a de la souffrance, de la peur et de la colère en nous mêmes, et lorsque nous en prenons soin, nous prenons soin du monde. Imaginez un grand pin dans le jardin. Si il nous demandait ce qu’il devrait faire, quel est le maximum qu’un pin peut faire pour aider le monde, notre réponse serait très claire :« Vous devriez être un pin très beau et en bonne santé. Vous aidez le monde en étant à votre mieux. »
Tout ce que vous faites pour vous, vous le faites pour le monde. Ne pensez pas que le monde et vous êtes deux choses séparées.
Quand vous respirez doucement et avec conscience, quand vous ressentez la merveille d’être vivante, rappelez-vous que vous faites cela aussi pour le monde. Lorsque vous pratiquez comme cela, vous arrivez vraiment à aider le monde.
Le Bouddha nous a offert de nombreuses façons pour réduire la douleur dans le corps et dans nos émotions, pour nous réconcilier avec nous-mêmes. Pendant les retraites, nous voyons que nous pouvons diminuer les douleurs physiques en relâchant les tensions de notre corps. La douleur augmente avec la tension, et diminue avec la détente. Vous pouvez pratiquer cela aussi en marchant, et chaque pas devient une aide. Marchez comme une personne libre.
Posez tout, ne portez rien, et sentez-vous légère.
Le Bouddha dit qu’il ne faut pas amplifier notre douleur en exagérant la situation. Il compare cela à une personne recevant une première flèche, puis une seconde au même endroit. La douleur ne va pas seulement doubler, mais elle sera extrêmement plus grande et plus intense. Aussi, quand vous ressentez une douleur, physique ou mentale, vous devez la reconnaître juste pour ce qu’elle est, et ne pas l’amplifier. Vous pouvez vous dire : « En inspirant je sais que cela n’est qu’une douleur physique mineure. Je peux m’en faire une amie et faire la paix avec elle. Je peux lui sourire ». Lorsque vous faites la paix avec elle, vous ne souffrez plus autant. Mais si vous êtes en colère, si vous vous révoltez contre elle, si vous vous inquiétez trop, si vous imaginez que vous allez mourir, alors cette douleur sera multipliée par cent !
C’est la seconde flèche, la souffrance supplémentaire qui vient de l’exagération. Vous ne devriez pas la laisser s’élever. C’est ce point important que recommande le Bouddha : n’amplifiez pas la douleur.
Alors vous pourrez marcher libre dans le monde, le coeur en paix.
Thich Nath Hanh
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