« On peut dire qu'il n'y a « aucun enseignant du zen », ou bien qu’il y a d'innombrables myriades d’enseignants du zen. Chaque être, qu'il soit sensible ou insensible, connu ou inconnu, ne peut s'empêcher d'exalter le Dharma et de guider le pratiquant du zen vers la Réalisation.
La plus grande partie de cette activité du Dharma reste bien en-dessous de la surface, sans même qu'on en rêve, mais cela ne la rend pas moins importante.
Le zen décrit souvent l'illumination en des termes aussi banals que "boire de l'eau et savoir par soi-même si elle est froide ou chaude" ou "voir les montagnes et les rivières comme des montagnes et des rivières". Ce n'est pas quelque chose que l'on peut acquérir ou apprendre. C'est un droit de naissance humain, toujours présent mais obscurci par les filtres de l'attachement et de l'illusion. Lorsque ces filtres tombent, la réalité resplendit, brillante d'évidence. D'où l'expression de Rinzai : "Le Dharma d'Obaku- son propre Maître- n'a rien de spécial".
( Rien de spécial : tout est là, sous notre nez, à chaque instant, mais nous ne le voyons pas...il faut des « moyens habiles » pour que nous regardions, et que nous puissions arriver à ...rien de spécial!)
Obaku a dit une phrase célèbre : " Ne savez-vous pas que dans tout le pays de T'ang [la Chine impériale] il n'y a pas de maîtres zen ? " Cela signifie que personne ne peut enseigner le zen à quelqu'un d'autre. C'est quelque chose qui doit être réalisé par nos propres efforts.
Cependant, Obaku a résumé le paradoxe en poursuivant : « Je ne dis pas qu'il n'y a pas de zen, mais qu'il n'y a pas d’enseignant du zen ».
Les Maîtres continuent à donner des enseignements et à s'adresser aux étudiants ; des cérémonies sont organisées et des sutras sont chantés ; les moines et les laïcs continuent de faire zazen, cette découverte de leur propre nature à travers le calme et la tranquillité du corps.
En réalité, notre vraie nature, notre visage originel, reste plus proche de nous que notre propre souffle,( Intimité complète avec notre véritable Soi, dirait Harada Roshi!) indissociable de l'esprit unique, parfait et ne nécessitant aucune amélioration.
Mais la pratique et l'enseignement du zen se poursuivent, non pas parce qu'il y a quelque chose à apprendre ou à améliorer, mais parce que la prise de conscience qu'il n'y a pas "quelque chose" à apprendre va à l'encontre de notre mode de pensée naturel. La pratique est essentielle précisément parce qu'il n'y a rien à enseigner.
Rinzaï avait une solide connaissance du bouddhisme, mais sa méthode d'enseignement était basée sur sa confiance en la capacité de l'être humain à s'épanouir, sur sa conviction que les êtres humains n'ont qu'à s'éveiller à leur vraie nature et puis vivre comme des gens ordinaires.
Il ne se qualifiait pas de « Maître zen », il se définissait comme un "bon ami spirituel", quelqu'un qui pouvait aider les autres sur le Chemin. Rinzaï a dit que lorsque nous rencontrerons le « Bouddha fantôme », nous devrons lui couper la tête.
C’est à dire que, que nous regardions à l'intérieur ou à l'extérieur de nous-mêmes, nous devons couper la tête de tout ce que nous rencontrons- cela signifie abandonner les opinions et les idées que nous avons sur les choses, y compris nos idées sur le bouddhisme et les enseignements bouddhistes - ( et j’ajouterais sur zazen!)
Les enseignements bouddhistes ne sont pas des mots exaltés et des écritures qui existent en dehors de nous, rangés tout en haut de l’étagère d’un temple, mais ce sont des moyens habiles pour guérir notre ignorance, notre soif et notre colère, ainsi que notre habitude de chercher des choses à l'extérieur et de ne pas avoir confiance en nous-mêmes. (…)
Cela signifie-t-il que puisqu’il n’y a rien à apprendre, il n’y a rien à faire si tout est déjà là ?
Nous pouvons nous demander : « Si une personne n'a pas de direction, n'aspire pas à réaliser un idéal, et n'a pas de but dans la vie, alors qui aidera les êtres vivants à se libérer, qui sauvera ceux qui se noient dans l'océan de la souffrance ? »
Quand nous entrons dans les écrits de Rinzaï,nous devrions imaginer un enseignant qui se tiendrait devant nous en criant :
« Ne venez pas me voir pour chercher quelque chose. L'illumination, le bonheur, la stabilité et la liberté que vous recherchez sont déjà en vous. »
Et Thich Nath Hanh nous dit :« Un bouddha est une personne qui n'a plus rien à faire et qui ne cherche rien. En ne faisant rien, en nous arrêtant simplement, nous pouvons vivre librement et être fidèles à nous-mêmes, et notre libération contribuera à la libération de tous les êtres. »
-----------HOKUTO DANIEL DIFFIN------
Alors c'est un peu un problème, je crois, dans le zen parce que, en fait, autrefois, autrefois -autrefois, dans cette Chine mythique ou Japon presque mythique, les enseignants parlaient à leurs moines, ou nonnes. Et donc ils parlaient une fois, ils parlaient deux fois, ils allaient répéter encore, je ne sais pas combien de fois, en tournant d'une façon, en tournant d'une autre ; on le voit bien dans les écrits de maître Dogen. Mais nous maintenant en Occident, mais on ne sait pas, est-ce que ce que les personnes nous ont entendu une fois, plusieurs fois, est-ce qu‘elles ont écouté au moins une fois ?
Alors on continue à utiliser des mots que je trouve dangereux s'ils sont mal compris, comme « ne rien faire ». Dangereux pour qui ? Pour la personne en fait, qui pourrait les utiliser en les ayant mal compris.
Par exemple, dans ce texte, TNH dit que pour vivre librement, être vraiment nous même, et aider et sauver tous les êtres, il faut ne rien faire et s'arrêter.
Alors on se dit ce n'est pas compliqué, je m'assois et puis je regarde « pousser l’herbe »... et puis m'arrêter, ça tombe bien parce que je suis vraiment fatiguée...
Evidemment, ce n'est pas ce que Rinzaï ou TNH nous disent ! Ou beaucoup d’autres enseignants qui nous disent la même chose, dans d’autres termes.
Ce sont des mots à prendre, je dirais presque avec des pincettes, parce que si on on les prend de travers, ça peut nous motiver à ne pas aider, à ne pas s’occuper de ce qui se passe autour de moi. Et on rencontre cette attitude parfois chez les pratiquants d’un Chemin spirituel.
Mais d’autre part, on prend des vœux qui disent : je vais aider et sauver tous les êtres.
Et bien sûr, ça pose la question et c'est là le paradoxe : aider tous les êtres, et m’arrêter et ne rien faire, les deux ensemble… ?
TNH : En ne faisant rien : comment ne rien faire sans faire quelque chose qui serait : « ne rien faire »… ?
On arrive bien sûr au non-faire, ou non-agir.
TNH : En nous arrêtant simplement : un jour où le bandit Angulimala l’appelle dans la rue désertée d’un village : « Eh ! Le tondu ! Arrête toi... » Le Bouddha, tout en marchant vers lui, répond : « Je suis déjà arrêté…. »
Qu’est-ce que c’est que cet « arrêté » et ce « ne rien faire »… ?
Je pense qu’on trouve la réponse dans un Soutra indien, le soutra de Bâhiya :
un ascète « Bâhiya vêtu d’écorce » demande par trois fois au Bouddha de lui enseigner le Dharma pour vivre une vie complète et sans souffrance.
Et voici ce que le Bouddha lui enseigna :
« Dans l’acte de voir, qu’il n’y ait que le voir,
dans l’acte d’entendre, qu’il n’y ait que l’entendre,
dans l’acte de sentir, qu’il n’y ait que le sentir,
dans l’acte de connaître, qu’il n’y ait que le connaître.
C’est comme cela, Bâhiya, que vous devez vous vous entrainer.
( parce que pour nous, bien sûr le « voir » s’accompagne toujours d’une pensée, d’une émotion, d’un ressenti, etc , qui peut être agréable, désagréable, ou neutre… mais nous voyons, entendons, ressentons etc toujours à travers « moi »)
Pour vous, Bâhiya, dans votre acte de voir, lorsqu’il n’y a plus que le simple acte de voir, dans votre acte d’entendre lorsqu’il n’y a plus que le simple acte d’entendre, dans votre acte de sentir lorsqu’il n’y a plus que le simple acte de sentir, dans votre acte de connaître lorsqu’il n’y a plus que le simple acte de connaître, alors Bâhiya, il n'y a plus de « vous » ( ou de « soi » ) en relation avec cela : le voir, l’entendre, le senti, le connu.
A ce moment là, il n’y a plus de « vous/soi » là. Quand il n’y a pas de soi là, vous n’êtes plus ici où là, c’est la fin de la souffrance. » Soutra de Bâhiya.
En fait il n’y a plus personne, « dans le voir, il n’y a plus que le voir : juste le vu, l’entendu, le senti, le connu ; càd que je ne vais rien rajouter, pas de lunettes grises, pas de lunettes roses, juste TEL, juste ce qui est.
Ce qu’Harada Roshi appelle : « l'univers entier qui apparaît sans séparation. »
Et à ce moment là mon « agir », parce que le penser/dire/agir continue, mon agir donc, sera du « non-agir » . Le Bouddha est arrêté – il ne se laisse plus guider par ses impulsions, ses désirs, ses peurs...et il peut continuer comme il va le faire pendant 80 ans à enseigner, marcher, mendier la nourriture, exposer le Dharma et transformer un assassin en pratiquant de la Voie, et aider tous les êtres, et ça continue 2500 ans plus tard !
Rinzaï :
"Ne venez pas me voir pour chercher quelque chose. L'illumination, le bonheur, la stabilité et la liberté que vous recherchez sont déjà en vous. »
Donc, personne ne peut m’apprendre à juste voir, entendre etc, c’est aussi simple que « boire de l'eau et savoir par soi-même si elle est froide ou chaude » ...et pourtant nous sommes plein de fantômes – du Bouddha, du Zen, de la vie, des autres, de nous-même...à qui nous devons couper la tête- et ça pour le faire dans le non-agir bien sûr, c’est zazen.
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