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Où vivons-nous?

Photo du rédacteur: Joshin Sensei Joshin Sensei

Où vivons-nous, dans la lumière ou dans l’obscurité ? Est-ce qu’il faut se débarrasser de notre illusion pour arriver à la lumière ?

Quelle illusion ? Celle de la séparation, celle de notre arrogance, on l’a vu, penser que notre vie ne dépend que de nous ; illusion du continu, de la permanence alors que notre vie est flux et impermanence…Pour M° Dogen, nous vivons dans la réalité entière, lumière et illusion ; la Voie du Bouddha n’est pas d’aller vers la lumière, mais de voir notre obscurité.


« LA » lumière, la grande lumière au Japon, c’est la lumière de la lune, qui illumine sans écraser, une lumière douce et qui pourtant révèle ; la lumière de la lune qui brille dans l'obscurité, comme notre Nature de Bouddha qui brille dans notre obscurité/illusion/ignorance.

La lumière de la lune qui se reflète même dans la plus petite goutte d'eau, et la lune n’est pas mouillée ; la lumière de la lune qui se reflète dans les vagues et lorsque les vagues bougent en fait la lune n'est pas touchée.


Cette lumière de la lune est obscurcie parfois par les nuages, mais en fait, elle reste toujours là

Donc on voit bien l'image de cette lumière intérieure et notre obscurité.


A partir de là, et en restant « trop près » de cette image, on pourrait avoir l'idée qu'il faut faire partir, en quelque sorte, les nuages, notamment à travers zazen, à travers la méditation et qu'à ce moment-là, la lumière de la lune brillera sans cesse, notre lumière intérieure brillera sans cesse ; fin des Trois Poisons, fin des problèmes !

Ce que je trouve tout à fait passionnant chez M° Dogen est qu’il dit autre chose : il dit que la Voie du Bouddha, ce n'est pas aller vers la lumière, mais c'est voir notre obscurité.


La lumière et l’obscurité...autrement dit l’illusion et l’Eveil...où vivons-nous ? Est-ce que ce sont des contraires qui doivent lutter l’un contre l’autre, ou bien les deux faces d’une même pièce ?

En fait la lumière n’existe que par rapport à l’obscurité, et ce qui me fait voir l’obscurité, c’est la lumière...


« Quand toutes nos idées, nos hiérarchies, nos préconceptions, nos formations mentales, nos certitudes, bref, quant tout s'écroule, alors, illusion et éveil, bodhisattvas et êtres humains, enfin fonctionnent harmonieusement, complètement dans la réalité entière. » * Hee-Jin KIM


La réalité entière… lumière et obscurité .


Et nous devons voir, dit Kim, l'Illumination comme une lumière rayonnante qui illumine partout et de tous côtés l'illusion.

Exactement comme la lumière de la lune illumine la terre, la nuit.

Cette lumière rayonnante, radieuse, pénètre et dévoile les profondeurs et les dimensions de l'illusion – autrement dit, de la nature humaine, et de la condition humaine - qui jusque là n'étaient pas vues, étaient inconnues ou insondées par les pratiquants, qui, alors, deviennent conscients de leurs propres angoisses, doutes et ambiguïtés émotionnels, existentiels et moraux.


On entend souvent cela, et je trouve que c’est ce qui rend si difficile, pour ne pas dire rebutant, les débuts de l’assise, comme si « tout » - le placard bien fermé !- nous sautait dans la figure !

Plus il y a de lumière, plus l'obscurité est profonde, et plus l'étendue de l'obscurité se révèle...nous pouvons en faire l'expérience lorsque nous allumons une lampe dans les ténèbres.


Une des phrases préférées de M° Dogen: «  Rien de caché dans l'univers entier » . Ceci ne veut pas dire que la lumière efface les ténèbres, et que par conséquent des choses jusque là cachées deviennent visibles – mais que à l'origine, rien n'est caché, et que donc la lumière n'a pas besoin de faire disparaître les ténèbres.

C’est une pensée contre-intuitive, car pour nous la lumière est là justement pour faire disparaître les ténèbres- nous en débarrasser en quelque sorte...nous débarrasser de nos peurs..mais en fait c’est un dialogue entre lumière et obscurité, pas un combat ; nous n’allons ni perdre ni gagner...mais vivre dans la réalité entière- «  Dans la lumière il y aussi l’obscurité » dit le vieux poème chinois, le Sandokaï-


 Ce que fait la lumière alors est de perpétuellement illuminer et pénétrer les profondeurs de l'obscurité dans un processus de dialogue toujours ouvert entre la lumière et l’obscurité.

    Ceci est l'intimité entre lumière et obscurité. *


Paradoxe: plus vous entrez profondément dans l'illumination, plus clairement vous discernez vos propres fragilités et vos limites.

      Nous ne devenons pas plus « illusionné » que nous ne devenons « illuminé », puisque nous sommes à l'origine illusionnés et illuminés. C'est ce que résume ce passage: « La grande (daï) illumination est toujours intime avec « néanmoins illusionné » ( Chapitre Daigo du SBGZ).

M° Dogen dit aussi :  « Rien ne s'avance, rien n'apparaît – vous ne découvrez rien - lorsque vous dé-couvrez le monde. » ( cf Quand la lumière surgit » rien qui n’était pas là avant)


La logique de M° Dogen ici est claire: depuis le tout début ( « avant ce sac de peau » ), il n'y a rien de caché ( entendre : de forme à déchiffrer, ou réalité sous-tendant le monde, pensée très occidentale (surface-superficielle //profondeur...profonde!) ), dans le monde entier donc il n'y a dès l'abord rien à découvrir/dé-couvrir .

En ce sens, les choses sont claires comme le cristal. Puisque que la lumière existe toujours en rapport avec l'obscurité, la fonction d'illumination de la lumière est de pénétrer et de voir à travers l'obscurité, et pas de la supprimer.


     Ce pouvoir illuminant de la lumière pénètre l'obscurité afin de ramener au jour ses dimensions jusque là non reconnues et inconnues.

Il n'y a pas de conquête des ténèbres, ni de lutte entre lumière et ténèbres, mais lorsque l'illumination brise et passe à travers ( « break through ») l'illusion, elle n'est jamais en-dehors de cette illusion: ainsi la lumière, aussi rayonnante et brillante soit-elle, travaille toujours dans et à travers l'obscurité. » *

   

      Il n'y a donc pas un état paradisiaque d'Eveil, opposé à, ou indépendant, de l'illusion - mais pour M° Dogen la condition humaine est telle que même si nous voyons la profondeur de l'illusion, nous ne pouvons jamais la faire disparaître. Nous pouvons donc lâcher une image idéale de l’Eveil où tout ne serait plus que lumière!


Comprenant, réalisant cette non dualité, ( Lumière et obscurité ne sont pas deux, mais l’un ne peut exister sans l’autre : « Dans la lumière, il y a aussi l'obscurité, mais ne la voyez pas comme obscurité ; dans l'obscurité il y a aussi la lumière, mais ne la voyez pas comme lumière.- ) nous sommes alors libres de lâcher nos attachements ( rechercher la sérénité, plus de ceci, moins de cela, etc); mais cette non-dualité n'est pas équivalence, ni indifférence, elle ne nous libère pas non plus d'avoir à faire des choix moraux ou éthiques.


La non-dualité travaille toujours dans et à travers la dualité.


Après avoir entendu cela, une personne conclut : « C'est très clair, même quand je ne comprends pas : est-ce que ce n'est pas exactement toujours comme cela ?! »


« Si nous regardons une rivière, « l'eau est claire jusqu'au tréfonds, un poisson y nage comme un poisson » (Zazenshin) – et pourtant pouvons-nous dire que nous « comprenons » la rivière? Le mouvement de l'eau? Les paillettes du soleil? La nage du poisson?

En même temps, nous disons: « Mais cela m'échappe...» car cette connaissance , quand elle n’est pas figée en concept, est insaisissable, impossible à conserver, à fixer, elle est sans fond - ...un même mouvement, un même moment, tout est là, tout disparaît...
 »


Pouvons-nous « comprendre » le monde? Comprendre nous-mêmes- alors que nous sommes partie du monde/que nous sommes ce monde?

Comprendre que nous comprenons ou comprendre que nous ne comprenons pas?


A la fin, plus de questions, il n’y a qu’apaisement :


La lune se reposant

au creux d'un cœur tranquille -

les flots se brisent en lumière.


M° Dogen



*Extraits du livre de Hee-Jin KIM: « Dogen: His View of Zen », traduction, commentaires, résumés, notes, etc, de Joshin Sensei





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