Mâle ou femelle, pourquoi ce besoin de distinguer le vrai du faux?
Sous quelle forme apparaitra finalement Kuan Yin, boddhisttva de la compassion?
Ça ne servirait à rien non plus de lui arracher la peau
si quelqu'un se demandait si c’est le corps d'un homme ou d'une femme...
Jingang- Un - Oeil
appelée ainsi parce qu'elle aurait perdu l'autre oeil à force de lire le Soutra du Diamant. Lorsqu'elle faisait des enseignements sur ce soutra, il est dit que des centaines de personnes, moines et nonnes, laïcs des deux sexes, aristocrates comme gens du peuple venaient l'écouter...
Oui les nonnes bouddhistes existent, et elles ont été nonnes, abbesses et enseignantes, à force de ténacité et de courage...
Que cette poésie écrite par des nonnes bouddhistes chinoises existe, même, peut être une surprise. Il faut pour la poésie un niveau de culture élevé car la poésie classique chinoise qui demande non seulement la maîtrise du langage, mais aussi, à cause des fréquentes allusions et références, une connaissance approfondie de la tradition littéraire, incluant l’histoire et la philosophie.*
Selon les siècles, ce fut plus ou moins facile...Quelques exemples:
En 516 un moine, Baochang, compila une collection de 65 textes :« Vies de nonnes célèbres », portant sur les nonnes des troisième et quatrième siècles.
A travers ces textes, certes hagiographiques, nous pouvons néanmoins voir que ces nonnes exercèrent – presque au début du bouddhisme-une autorité politique, sociale aussi bien que morale non seulement dans leurs propres temples ou communautés, mais dans la société dans son ensemble.
Par exemple, en 385, la nonne Miaoyin fut nommée abbesse d’un couvent bâti pour elle par un officiel de la Cour. De nombreuses personnes, nonnes et moines, ou laïcs des deux sexes, tant de l’aristocratie que du commun, riches ou pauvres, assistait à ses sermons ; le texte dit que chaque jour, près d’une centaine de chariots porteurs de dons passaient les portes du couvent.
Les nonnes décrites dans ce livre sont célèbres pour divers talents, prêcher, écrire des poèmes, vivre une vie ascétique, ou pratique assidue de la méditation.
Mais les temps changent, guerres civiles, famines et épidémies, et la condition des nonnes aussi:
Pendant la dynastie Tang (618-907), période d’agitation sociale et politique, où de nombreuses femmes, veuves, filles trop pauvres pour se marier, etc., rejoignirent les couvents. Ceci entraîna une baisse du niveau religieux et culturel, entraînant à son tour une baisse du soutien des laïcs.
Et pourtant quels nonnes assez extraordinaires, parmi mes préférées:
Il y eut cependant des nonnes éduquées, cultivées : Fadeng , nommée abbesse d’un grand couvent par l’empereur lui-même, qui en fit sa préceptrice religieuse. Liu Tiemo, dite Pierre à Aiguiser, surnom gagné dans les « batailles du Dharma"
Tant ses répliques étaient coupantes, et laissaient sans voix ses adversaires!
Et Moshan Liaoran, qui, au cours d’une de ces « batailles » écrasa l’arrogant moine Zhixian, qui en admiration devant son accomplissement spirituel se fit pendant trois ans jardinier dans son couvent !
Retour au calme, les monastères redeviennent des lieux d'étude et de culture:
Dynastie Song ( 960-1279) : les couvents redevinrent des endroits respectés ; la vie monastique fut reconnue une vocation respectable pour les femmes
Des nonnes furent à la fois abbesses et enseignantes, et leur réputation leur permit d’obtenir de nombreux dons, notamment pour la construction de stupas et de reliquaires ; ainsi Daojian, ordonnée en 983, qui fut honorée par l’empereur de la robe pourpre.
On connaît surtout les nonnes appartenant à l’ élite politique et sociale; ces femmes étaient en général très cultivées, et grâce à une mobilité rare dans ces sociétés, elles purent souvent étudier avec de célèbres Maîtres – hommes.
Ce fut le cas notamment du maître Rinzaï Dahui (1089-1163); parmi ses héritiers et héritières du Dharma, on trouve notamment deux nonnes très célèbres : Maître du Chan Miaodao et Maître du Chan Miaozong, renommées pour leurs spiritualité et aussi leur savoir impressionnant tant des textes bouddhistes que des classiques confucéens et des textes taoïstes.
Nouvelle dynastie, poids de la bureaucratie confucéenne, Confucius qui assigna aux femmes leur "juste place"... Tiens, il y aurait peut - être encore quelques confucianistes, même au 21 ème siècle, même en Occident...?
1279 : chute de la dynastie des Song, début de la dynastie mongole Yuan. Les premiers empereurs restèrent favorables au bouddhisme, mais les officiels confucianistes prirent de l’influence. Il semble qu’ils furent spécialement offensés par le nombre de couvents dans le pays.
Par exemple, le préfet Huo Tao, après avoir fait le compte des couvents de la région de Nanjing – 70 – et celui des nonnes – 500- lança une campagne pour que toutes ces dernières retournent à la « juste » place que Confucius leur avait donnée :
« Hommes et femmes sont différents, ceci est la norme des anciens. Quant aux nonnes, il leur manque près d’elles un mari et de la famille, au-dessus d’elles un père et une mère, en dessous des descendants. N’est-ce pas pathétique ? Elles appellent ce qu’elles font pratique religieuse, mais en fait elles ne font que transgresser les normes. De plus elles sont contagieuses pour les épouses et les filles des autres. »
Ah! .."transgresser les normes"...oui finalement Confucius se promène encore au 21ème siècle, ici et là...
Mais les nonnes aussi se promènent dans les siècles, et les rencontrer ou les lire, les faire lire et les partager, fait naître en moi un sentiment de "sororité", qui souvent m'encourage, et me rend joyeuse...
Il est bon de garder à l’esprit, en lisant ces textes, que les nonnes et les poèmes présentés ici sont les ombres et les échos d’un monde que la pauvreté des sources nous empêchera toujours de connaître complètement...
Soeurs du kesa, de l'encens et du silence...
* en italique des extraits de la traduction de l'intro du livre Daughters of Emptiness".
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