Les paroles s’arrêtent...
- Joshin Sensei
- 10 mai
- 4 min de lecture
Je reviens au livre Retour au silence. Là où justement les paroles s’arrêtent !
Dans ce passage, Katagiri Roshi ouvre complètement notre vie, sa vie, la vie de tous les êtres: lorsque nous ne voyons plus la vie, et tout ce qui nous entoure, en termes de concepts, comme séparé de nous- ce que je vois, l’objet, et celui/celle qui voit le sujet – alors je comprends que tout est unité- il donne l’exemple d’une feuille de papier qui brûle : au départ il y a le papier et le feu, puis à un moment le papier est feu, et le feu est papier, on ne peut plus les nommer séparément, il n’y a plus de termes, plus de concepts.
Pour lui, de la même façon, ce que je ne peux pas séparer, c’est « vie » et « compassion » : le bodhisattva de la compassion, dit-il, voit les êtres et est vu par eux. Lorsque nous reconnaissons cette non -séparation : « la vraie réalité, qui se joue entre le monde et Avalokiteshvara, Kanzéon, Chenrezig, la véritable Réalité est pleine de compassion ; c’est cette compassion qui soutient le monde, qui l’aide, qui lui prête son appui. »
Le texte :
On raconte l’histoire suivante à propos de Gazan Zenji, disciple de maître Keizan, troisième patriarche après Dogen. Un jour, Keizan dit à son disciple Gazan : « Savez-vous qu’il y a deux lunes ? » Gazan Zenji répondit : « Non, je ne savais pas qu’il y avait deux lunes. » Alors, maître Keizan lui dit : « Si vous ne comprenez pas, vous n’êtes pas mon successeur. » On raconte que Gazan Zenji prit l’affaire très au sérieux et qu’il passa trois ans à se concentrer sur ce message et à le méditer. (eh bien,qui passerait trois heures à méditer si je m’arrêtais maintenant?)
« Il y a deux lunes » signifie que voir la lune dans le ciel et déclarer qu’il y a une lune est une compréhension personnelle. C’est voir, entendre et comprendre la lune en termes conceptuels, parce que, quand je recours aux concepts, je me place toujours au premier plan de l’action : c’est moi qui vois la lune. Il y a toujours séparation entre moi et la lune. Il ne m’est pas possible de laisser la lune se fondre merveilleusement en moi au-delà des concepts et des spéculations.
La vraie Réalité est quelque chose de merveilleux où la lune et moi s’interpénètrent pour créer « quelque chose » qui n’a pas de nom, pas de concept. Telle est la vraie Réalité où vous vivez. Telle est votre vie. Vous ne le savez pas parce que c’est inconcevable –( au sens premier : on ne peut le mettre en concept. C’est aussi le sens de « merveilleux » chez M° Dogen : qui ne peut être saisi par l’esprit, qui est au-delà de notre compréhension. Et pourtant nous vivons là ,dit Katagiri Roshi).
Vous ne pouvez pas voir la vraie réalité de la lune et de vous, complètement fondus l’une dans l’autre. ( C’est exactement zazen : vous ne pouvez pas « voir » zazen lorsque vous êtes un avec zazen. Pour « voir »- comprendre, etc il faut être ou du moins se sentir, à l’extérieur. Pouvez-vous être assis en zazen et voir zazen ? Si vous le pouvez, c’est que vous n’êtes pas en zazen mais « en pensée » ! Imaginez : est-ce possible d’être à l’extérieur de sa vie ? ) Cette relation est exactement la même que celle qui unit le feu et le papier (il avait donné juste avant l’exemple d’un papier que l’on brûle) . Nous voyons toujours le feu et le papier en termes de concepts, de sorte que, même quand le feu est papier et le papier feu, on ne le croit pas. ( On continue à les diviser, à les séparer parce que nous avons le concept « feu » et le concept » papier » Et nous n’avons pas de concept pour « le feu est papier » ou « le papier est feu » Nous voyons deux là où il y a un. De même pour zazen « je fais zazen » ou pour notre vie : « quand je dis ma vie = je+vie - deux là où il y a un »
C’est pourtant la vérité parce que, dans le monde de la vérité, il se passe toujours quelque chose. Il y a une dynamique. ( Le concept fige : papier, feu, lune, vie.. alors que sans cesse ces éléments s’entrecroisent, et s’interpénètrent- comme les fils de la tapisserie.... Tout est mouvement, flux, changement)
Telle est la réalité où nous vivons. Que nous aimions cela ou pas, il se passe toujours quelque chose. Que nous nous haïssions ou que nous nous aimions n’a réellement aucune importance. Notre vie avance, au-delà de la critique humaine. Notre vie croît, notre vie est soutenue par autre chose.
Le premier paragraphe du Soutra du Lotus (Saddharma Pundarika Sutra) explique pourquoi Avalokiteshvara- Kanzeon, Chenrezig... le/la bodhisattva, est appelé « Compassion ». Avalokiteshvara veut dire « voir le monde et être vu par le monde ».
Si je vous regarde avec compassion, alors, vous tous, parce que vous êtes regardés par un être compassionné, vous me verrez comme un être compassionné. Telle est la vraie réalité, la communication entre le monde et les êtres humains.
Alors, il n’y a plus rien à séparer ou à analyser, comme pour le feu et le papier. Il y a unité ; on l’appelle compassion. La vraie réalité, qui se joue entre le monde et Avalokiteshvara, est pleine de compassion ; elle soutient le monde, elle l’aide, elle lui prête son appui. Dans l’ensemble du bouddhisme, c’est ce qu’on appelle Dharma ou Vérité. Dharma veut dire soutenir. »
Katagiri Roshi Retour au silence
Ainsi notre vie à chaque instant est soutenue, portée par la compassion, elle est entremêlée à la compassion. A ce moment là, il n’y a peut-être plus de lune du tout ; peut-être plus « ma vie » du tout : juste la compassion qui forme la Réalité indissociable de ce que j’appelle « moi », c’est inconcevable, oui, et c’est merveilleux – et les paroles s’arrêtent !

Comments