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Photo du rédacteurJoshin Sensei

Le Ch’an : Sans vide, pas de vie


Chine, VIe siècle : dans la capitale, il n’est question que d’un barbare, moine bouddhiste indien au poil dur. Curieux, l’empereur, fervent bouddhiste, le reçoit, et à sa grande surprise se déroule le dialogue suivant : « J’ai fait construire un grand nombre de temples ; quels sont mes mérites ? - Pas de mérites. - Ce sont pourtant là actes sacrés ! - Rien de sacré. - Enfin, s’exclame l’empereur, qui est donc devant moi ? - Je ne sais pas », grommelle le moine. C’est par ce coup d’État que débute l’école du Ch’an, du sanscrit dhyâna : méditation. Car Bodhidharma, tel est le nom de ce moine sans manières, part après cette entrevue, pour passer, dit-on, neuf années en méditation dans la grotte de Shaolin.


Dans cette Chine confucéenne, où tout est minutieusement codifié, où les ermites adeptes du Tao (la Voie), mi-alchimistes, mi-magiciens, recherchent la prolongation de la vie, le Ch’an va joyeusement bousculer les traditions et poser la question essentielle : « Qui suis-je ? » Il va mettre l’accent sur l’absolu et sur la possibilité, la nécessité même pour chacun de réaliser, au double sens de comprendre et faire apparaître, sa nature véritable. Véritable en ce qu’elle dépasse la forme et le temporel pour nous ramener à notre « esprit merveilleux ».


Qu’est-ce donc que cet esprit ? Essayons d’effleurer une réponse en oubliant un instant notre conception occidentale. Voici le mot « Xin » dans son écriture chinoise : quatre coups de pinceau qui schématisent le coeur organe et ses vaisseaux, laissant le centre du signe vide. « Xin » signifie indifféremment « esprit » au sens de l’intellect et « coeur », car le coeur est vu comme la source à la fois des émotions et des pensées. Ce n’est donc pas le cerveau qui prédomine, pas de « tête bien faite », mais le coeur qui lui ne produit rien, ne contient rien, organe vide et dont le vide même garantit le passage du sang – de l’énergie, diront les Chinois. Alors, sans vide, pas de vie.


Cinq siècles après, voici le moine Ch’an Hongzhi:


« Quand toute parole est oubliée dans le silence,

vous apparaissez devant vous-même avec netteté.

Réalisant cela, les limites du temps s’effacent.

Et dans ce moment, tout vient à la vie.


Cet esprit merveilleux brille ,

pur et rare, comme un quartier de lune,

comme une rivière d’étoiles, comme les pins recouverts de neige,

et les nuages qui enveloppent les cimes.

Irradiant son halo lumineux, lumière dans l’obscurité,

il semble le rêve de l’alouette qui vole dans l’espace sans limites,

il semble l’étang immobile d’un automne lumineux.


Le temps insaisissable se dissout – inutile, et on ne discerne plus rien. Dans cette lumière tous les efforts s’oublient.

Quel est le lieu de cette splendeur ?

Où lumière et clarté écartent toute confusion ?

Seul ce silence est l’enseignement ultime,

seule cette lumière est la réponse universelle,

la réponse sans effort l’enseignement sans mots. »


Si le ton est plus policé, la forme plus élaborée, c’est grâce à la floraison du Ch’an sous la dynastie Tang . Il s’agit toujours de revenir à l’expression de notre nature vraie, Eveil qui nous réveille littéralement comme au sortir d’un rêve « dans ce moment où tout vient à la vie ». Spontanéité du Ch’an, de ce « coeur-esprit » immergé dans le moment présent.


Puisque cette nature lumineuse est déjà présente en nous, mieux, elle est nous, un seul instant suffit pour la faire apparaître – universelle et vide. Vide car n’étant liée à aucune forme, elle peut accueillir toutes les formes, êtres humains, pins, nuages et étoiles. « Quel est le lieu de cette splendeur ? » Seul répondra le vrai silence, éclair d’intuition au-delà des mots et du silence.

L’esprit pratique des Chinois évitera au Ch’an de tomber dans la stérilité : « Un jour sans travail, un jour sans manger », telle fut la règle des monastères. Les moines du Ch’an labourent et récoltent, maîtres et disciples travaillent au coude à coude, interrompus parfois par une question saugrenue ou un coup de bâton. Car « partout est exactement l’endroit juste », repiquage du riz ou nettoyage font aussi l’affaire pour s’éveiller .


Équilibre juste entre activité et intériorité, illumination silencieuse ou portée par un grand rire, la liberté absolue du Ch’an et sa vue pénétrante résonnent encore : lorsque nous arrêtons les bruits du monde, que corps et esprit entrent en harmonie, nous pouvons nous aussi « apparaître devant nous-mêmes avec netteté » et nous verrons là, je pense, notre véritable beauté.



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2 Comments


patrickmasse6
Aug 28, 2023

« Lorsque nous arrêtons les bruits du monde , que corps et esprit ou cœur et esprit ? Entrent en harmonie « …..merci Gasho

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Joshin Sensei
Joshin Sensei
Apr 09
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Ensemble dans la joie du Dharma!

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