Je voulais pour cet avant- dernier jour partager avec vous quelque chose qui me tient beaucoup à coeur : « Chronique de la nonne bouddhiste » !
il y a une dizaine d’années, j’ai été invitée par le magazine chrétien La Vie à faire régulièrement une chronique, qui s’appelle, eh bien, « Chronique de la nonne bouddhiste » !
J’ai eu toute liberté pour écrire sur ce que je voulais, le temple, la nature si belle qui nous réjouit tout autour avec les chevreuils et les mésanges-nonnettes , le printemps et la neige, l’éphémère, la méditation, le silence...des histoires chinoises, d’autres histoires et notre quotidien...tout ce que je voulais qui pouvait s’adresser à tous, à des personnes sans aucune connaissance du bouddhisme.
C’est passionnant de parler de la Voie simplement, à travers la vie quotidienne.
Ces chroniques ont été réunies dans un 1er livre, paru en Poche, en attendant le deuxième, ça s’appelle « Tout ce qui compte en cet instant » , et aujourd’hui j’aimerais partager avec vous une de ces chroniques.
J'ai choisi une histoire, celle de Mr Pou, parce qu'il me semble qu'elle a quelque chose à voir avec ce que nous vivons en ce moment.
Monsieur Pou était un homme riche et heureux. Il passait des journées sereines à contempler ses trésors, à caresser ses vases, à déguster à petites gorgées le thé parfumé dans une tasse à la transparence de glacier.
Monsieur Pou était aussi généreux qu’il était riche : ses amis lui rendaient souvent visite et repartaient, qui avec une gravure, qui avec un bijou …Il avait coutume de dire : « Les objets ne nous appartiennent vraiment qu’au moment où nous les donnons ; nous en séparer nous en rend vraiment propriétaire ».
C’était un homme paisible ; aussi bien au début ne s’émut-il pas lorsqu’il entendit parler de collections brisées et de livres brûlés. « Nul ne peut vivre sans beauté », c’était là une autre de ses phrases favorites. Il se sentait protégé par cette certitude jusqu’au soir où, porte défoncée à coups de bottes, ils entrèrent chez lui, le tirèrent de son fauteuil par les cheveux et mirent à sac la maison. Piétiné le tendre jade, écrasé le céladon couleur de nuage, déchirés les paysages de brume et d’eau ; tout fut consciencieusement réduit en miettes ou en échardes. Pour finir, la maison brûla et Monsieur Pou trouva refuge dans la bicoque du gardien.
Allongé sur le plancher rugueux, il regrettait ses biens disparus ; mais c’était la haine dans les regards de ses tortionnaires qui faisait le plus souffrir Monsieur Pou.
Puisqu’il était devenu impossible de ne rien acheter d’autre en ville que des bols de terre mal façonnés ou des vêtements rapiécés, il décida de créer lui-même la beauté.
Retrouvant pinceaux et encre grâce à ses amis, il prit goût à tracer des signes, des nuages d’encre, des lignes dansantes. Il se mit à dire en souriant à nouveau : « La joie naît du contentement. Le contentement naît du peu »- réconfort qu’il n’avait eu que peu, il faut le dire, l’occasion de mettre en pratique jusque là. Jusqu’au soir où ils revinrent, traînèrent Monsieur Pou par les oreilles avant de faire disparaître dans le feu papiers, encre, murs grossiers et toit fuyant.
Monsieur Pou passa plusieurs jours sur le ciment de la cour, hagard, sans la moindre maxime à se mettre sous la dent. Inquiets, ses amis l’emmenèrent hors de la ville.
Monsieur Pou s’assit au bord d’un ruisseau le regard rêveur : il ne connaissait les arbres et les fleurs qu’à travers les peintures délicates et les rouleaux de soie.
Mais après quelques semaines, œil vif, mine éclatante, Monsieur Pou remerciait tous les dieux : il avait découvert la brume au parfum plus léger que l’ encens, l’éclat du soleil plus brillant que l’or, la caresse du vent qui fait onduler les herbes, mieux que les traits du plus subtil des calligraphes… Oh, il n’avait pas perdu tous ses réflexes de collectionneur : il essayait de décrocher la toile d’araignée plus fine que la soie, il cueillait les fleurs bleues et s’étonnait de les voir dépérir, il voulait garder la rivière dans ses mains closes. Mais il apprenait, et petit à petit, le vert de la prairie emplissait son corps et il n’était nul besoin de musique puisque le vent dans les pins chantait dans sa tête. Lorsqu’ils revinrent, ils eurent beau chercher partout, ils furent incapables de voir Monsieur Pou : il n’y avait plus que le grand ciel bleu et toute la beauté du monde.
Joshin Sensei Magazine La Vie. « Chronique de la nonne bouddhiste. »
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